D’où vient la politique de précarisation du métier de professeur ?

Extrait d’un article glané sur le site de l’UPR de François Asselineau et intitulé : "Crise du recrutement à l’Éducation nationale ?" :

Mais aurait-on pu avoir une autre politique que celle de la précarisation du métier de professeur ? /.../
Pour répondre à cette question, il faut rappeler que cette politique s’inscrit dans un cadre plus global, qui est celui de la marchandisation de notre système scolaire. La table ronde des grands industriels européens (ERT, ou « European round table »), la Commission européenne, l’OCDE et l’OMC s’allient pour créer un nouveau marché, celui de la connaissance. Cette transformation, radicale pour ce qui concerne notre pays, pourrait générer des profits pour les investisseurs institutionnels (fonds de pension, assurances, financiers) trois à quatre fois plus élevés que ceux du marché de l’automobile, soit 7 000 milliards de dollars pour l’Europe, d’après l’OCDE. C’est une perspective de gains que ces investisseurs ne veulent pas laisser passer. On ne peut imaginer d’exemple plus clair et cynique de la raison fondamentale de la destruction des services publics dans les pays où sévit le néo-libéralisme façon Union européenne.

Le protocole de Lisbonne, premier levier de cette stratégie, acté en 2000, fait suite aux recommandations de l’OMC qui, l’année précédente, avait commencé à poser « les possibilités de libéralisation du marché mondial des services d’enseignement supérieur ». Il va mettre en place un véritable outil de comparaison entre les pays pour guider les politiques souveraines des États en ce sens : la « Méthode ouverte de coordination » ou MOC. Cette méthode permet le rapprochement des législations nationales en s’appuyant sur des outils comme l’évaluation « PISA ».

La divulgation régulière de ce genre de comparaisons entre pays entraîne une pression sur les États pour réformer leurs systèmes et sert de justification auprès des populations du bien-fondé de ces réformes, en plaçant en exemple des systèmes éducatifs dont le mode de fonctionnement correspond déjà à ce qui est attendu. Aucune réflexion sur les différences sociologiques des pays comparés n’est menée, ce qui permet de ne jamais soulever le problème d’adéquation entre le modèle que l’on impose et le pays où il est imposé, ni même d’ailleurs sur la pertinence globale et la permanence des résultats allégués, comme le montre le cas de la Finlande cette année.

Le second levier d’action passe par la Commission européenne qui pousse à la destruction des services publics d’enseignement, objectif majeur, comme de tous les services publics, sous couvert de la réduction des dépenses publiques jugées insoutenables par les fonctionnaires de la Commission.

Celle-ci émet des « recommandations » annuelles qui apparaissent dans les GOPÉ (Grandes orientations des politiques économiques) rédigées pour chaque pays. Les recommandations qui concernent le programme national de réforme de la France sont claires : compte tenu de la dette de la France et de sa perte de compétitivité, nous devons maintenir un déficit de 3,2 % du PIB. Comme le niveau des dépenses publiques en France est l’un des plus élevés de l’UE, et en constante augmentation, il doit être réduit de 50 milliards d’euros (pour la période 2015 – 2017) afin de rester soutenable ; ce plan, qui était déjà annoncé à l’époque, reste insuffisant : une rigueur plus grande pour l’avenir est exigée.

Austérité, austérité, ce serait la seule solution puisque nous n’avons prétendument plus les moyens de financer un système scolaire « aussi dispendieux ». Pourtant, la France des années 1970-1980, avec son PIB par habitant bien plus faible qu’aujourd’hui, réussissait la mise en place de notre système, après la réforme Haby et le collège unique, tant en matière de construction des infrastructures que de masse salariale, l’une et l’autre déclarées aujourd’hui insupportables.

Si nous revenons à notre question initiale, que pourrait répondre le ministre ?

Il suffit, pour le deviner, de se remémorer qui est M. Blanquer. Ce dernier est un collaborateur du groupe de réflexion « Institut Montaigne », financé par des entreprises du CAC 40, qui a pour vocation « d’élaborer des propositions concrètes dans les domaines de l’action publique, de la cohésion sociale, de la compétitivité et des finances publiques ». (22) On peut aussi souligner qu’il n’est pas novice en la matière puisqu’il fut, de 2009 à 2012, directeur général de l’enseignement scolaire. Il n’ira certainement pas à contre-courant de l’orientation prise depuis 40 ans et dont il a été l’un des acteurs.

Gageons donc que la réponse du ministre à un Sénat parfaitement au courant de la situation ne sera qu’un discours supplémentaire, lénifiant et passe-partout, un catalogue de promesses et de vœux pieux qu’aucun sénateur ne se risquera sans doute à éclairer comme nous le faisons ici.