Le bac, une illusion démocratique 4 juillet 2013. Par ALAIN BENTOLILA Professeur de linguistique, université Paris- Descartes

Il y a une trentaine d’années, face à la montée d’un échec scolaire qu’ils s’étaient montrés incapables d’endiguer, les responsables politiques ont sorti leur baguette magique pour décréter que, dans les délais les plus brefs et sans changer grand-chose, ils allaient démocratiser l’école. Ces illusionnistes maquillèrent donc la massification de l’école pour lui donner une façade démocratique et décidèrent qu’il fallait que l’on atteignît à marche forcée 80 % de réussite au baccalauréat. Ainsi notre école put-elle démontrer aux yeux du monde son efficacité et son équité.

Mais comment réussir ce tour de passe-passe alors qu’année après année une partie de plus en plus importante des élèves avaient du mal à lire et encore plus de mal à écrire ? Aucun problème ! Pour que la majorité pût franchir l’obstacle, il fut décidé d’ajuster la hauteur de la barre à la faible détente des élèves. On trafiqua donc progressivement les examens : après la suppression de l’examen de 6evint le tour du BEPC ; et après le BEPC, on dilua le baccalauréat dans un incompréhensible fouillis d’options qui n’avaient pour point commun que d’exhiber le vocable «baccalauréat» dans leurs intitulés respectifs. Et bien sûr, année après année, on diminua les exigences du bac pour en arriver à cette parodie d’examen auxquels seuls certains candidats et leurs parents anxieux semblent encore croire : ils déchanteront vite en s’apercevant du peu d’impact que ce diplôme a sur le destin professionnel des lauréats.

La démocratisation de l’éducation ne se décrète pas du jour au lendemain. Elle ne pourrait se construire que sur plusieurs générations, si l’on en avait le courage et si l’on consentait à y mettre les moyens. Cela prendrait du temps et susciterait bien des oppositions. Or du temps, nos responsables politiques n’en ont pas, parce qu’ils sont trop pressés de montrer et de se montrer ; quant au risque de la fronde syndicale, il les terrorise. Cette parodie de démocratisation n’a ainsi servi que ceux qui la mirent en scène et qui gagnèrent, pour un temps et à peu de frais, une notoriété politique usurpée. Ceux qui payent cher la note de cette manipulation sont les élèves et leurs parents que l’on continue à tromper sur la qualité et la durabilité des connaissances et surtout sur les capacités d’analyse et de raisonnement des bacheliers, seule condition d’une réussite possible dans l’enseignement supérieur.

Car après un baccalauréat «soldé», les lauréats sont autorisés à franchir la porte de nos universités. Mes étudiants français de licence de linguistique sont, pour un quart environ, incapables de mettre en mots leur pensée de façon cohérente et explicite. Que vaut alors la volonté de donner plus d’autonomie aux universités pour les mener vers l’excellence, si certains des étudiants qui entrent dans l’enseignement supérieur restent de médiocres lecteurs, de piètres scripteurs et se révèlent d’une navrante maladresse lorsqu’ils ont à expliquer et à argumenter ? On ne peut tolérer qu’un système éducatif ne fasse le constat - sans appel - d’insuffisances fondamentales qu’au seuil de la deuxième année d’université. C’est ignorer que nos étudiants ont été enfants de maternelle, élèves du primaire et du secondaire et que la qualité de la formation intellectuelle et linguistique qu’ils y ont acquise conditionne la hauteur des ambitions de l’université qui les accueillera.

Il nous faut donc transformer la logique de rupture actuelle en logique de continuité et d’accompagnement afin de passer d’un système complaisant et cruel à un système alliant exigence et générosité. Pour cela il convient de gérer avec lucidité le passage des différents paliers que les élèves ont à franchir de la maternelle à l’université en mettant en place des sas de transition. C’est-à-dire des bilans réguliers situés suffisamment tôt dans l’année pour identifier les difficultés spécifiques de chacun et permettre une remise à niveau. C’est justement ainsi que procèdent les pays qui ont les meilleurs résultats sans pourautant dépenser plus que nous pour l’éducation. Il en serait ainsi d’un «baccalauréat» qui ferait une large part au contrôle et à l’accompagnement continus. Ce dernier sas de transition conduirait tous les lauréats à une classe préparatoire à l’enseignement supérieur, véritable propédeutique à l’entrée en université ou en «grande école». Cela permettrait aux universités d’accueillir des étudiants éclairés et bien préparés et aux lycées d’entretenir des relations de qualité avec les universités.

C’est le système dans son ensemble qu’il faut refonder. Faire accéder artificiellement quelques jeunes soigneusement sélectionnés dans les milieux les moins favorisés à nos plus fameux établissements n’est qu’un faux-semblant. Car si l’on peut être heureux que les capacités intellectuelles des jeunes souvent stigmatisés soient pour une fois reconnues, si l’on peut applaudir à ces quelques victoires ponctuelles de l’éducation sur le déterminisme social, est-ce que cela change quoi que ce soit au système ? Non, cela ne change rien ! Et je dirais même que cette mise en scène permet au contraire que «tout reste pareil». Un moment de rêve pour les rares élus, un peu plus d’amertume pour les laissés-pour-compte, mais, finalement, «Sciences-Po» s’ajoute à la longue liste des illusions déçues qui, du Loto à Zidane en passant par un baccalauréat de pacotille, meublent le triste quotidien de ces jeunes que l’école de la république a bel et bien abandonnés.

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