8 septembre 2012
Le mythe de l’Espagne musulmane : entretien avec Serafín Fanjul
(actualisé le )
Le politiquement correct s’impose à coup de mensonges historiques répétés. Parmi ceux-ci on trouve le mythe d’Al Andalous : celui d’un royaume musulman pacifique, ouvert et tolérant. Une jolie construction idéologique sans grand rapport avec la réalité. L’hispanisant Arnaud Imatz fait le point ci-dessous avec le grand arabiste espagnol Serafín Fanjul. Selon ce dernier, les textes du Moyen Age démentent totalement l’interprétation contemporaine.
Polémia
Né en Galice, en 1945, Serafín Fanjul est un des plus prestigieux arabistes espagnols. Ancien directeur du Centre culturel hispanique du Caire, professeur de littérature arabe à l’Université autonome de Madrid, membre de l’Académie Royale d’Histoire depuis 2011 (*) il a consacré sa vie à l’étude de l’Islam comme phénomène religieux, sociologique, économique et politique. Auteur d’études littéraires érudites telles Las canciones populares árabes ou La literatura popular árabe et de traductions d’œuvres d’Ibn Battuta et d’Al-Hamadani, il est surtout connu pour avoir publié chez Siglo XXI, -qui fut l’éditeur espagnol emblématique de la pensée socialiste et marxiste dans un passé récent-, deux ouvrages essentiels : Al-Andalus contra España. La forja de un mito (Al-Andalus contre l’Espagne. La création d’un mythe) et La químera de al-Andalus (La chimère d’al-Andalus). Ces deux livres, dont on regrettera qu’ils n’aient pas encore été traduits en français, mettent en pièces l’image mythique d’al-Andalus, société raffinée, pacifique et cultivée soumise par des barbares chrétiens, et celle, non moins chimérique, d’une société musulmane espagnole dont l’influence se ferait toujours sentir dans l’Espagne du tournant du XXIe siècle. Pour compléter ses travaux, Serafín Fanjul a publié récemment une étude montrant le rôle fondamental joué par les européens dans la création de l’image mythique et stéréotypée d’une Espagne primitive, exotique et mystérieuse, qui a pour titre Buscando a Carmen (À la recherche de Carmen, Siglo XXI, 2012), une allusion insolite à la célèbre héroïne néoromantique de Mérimée et de Bizet.
Arnaud Imatz : Vous avez écrit des livres et de nombreux articles pour dénoncer le mythe d’al-Andalus « civilisation la plus avancée du haut Moyen-Âge », symbole de la cohabitation pacifique et tolérante des trois cultures musulmane, juive et chrétienne. La vie en commun était-elle sereine et harmonieuse jusqu’à l’expulsion des Morisques ou au contraire marquée par la confrontation ? Faut-il parler de « symbiose » ou d’ « antibiose » ?
Serafín Fanjul : On ne saurait voir de façon homogène tout un processus historique qui a duré près de huit siècles. Au VIIIe siècle, la société d’al-Andalus n’était pas celle du Xe siècle une époque où les musulmans étaient majoritaires, où l’hégémonie culturelle arabe était un fait et le christianisme en plein recul. Le royaume de Grenade, qui dura deux siècles et demi (1238-1492), n’était pas non plus identique à l’al-Andalus de la période antérieure. Il s’agissait d’une société monoculturelle, avec une seule langue, une seule religion. Une société terriblement intolérante, par instinct de survie, puisqu’elle était acculée à la mer. La symbiose et l’antibiose sont deux notions qui relèvent d’une conception idéaliste de l’histoire. Leurs promoteurs (le philologue Américo Castro et le médiéviste Claudio Sanchez Albornoz) sont au fond des néoromantiques.
Entrevista a Serafín Fanjul:
http://www.nodulo.org/ec/2004/n030p01.htm