El Greco, la fièvre extatique Mars 2010 par Henri Soldani

Avec l’appui spectaculaire de la ville de Tolède et du gouvernement de Castille, l’exposition Greco à Bruxelles a pu réunir une centaine d’oeuvres du maître et de son atelier. Où l’on comprend comment Greco est aussi un peintre 1900 !

Greco est une invention récente. Avant le début du XXe siècle, où se situe sa seconde naissance, on fait peu de cas de cette peinture extravagante, démente, peu fréquentable, fruit d’un esprit «dérangé » ou d’un étranger astigmate. Les préjugés classiques sont toujours en vigueur qui ont périmé l’apparente folie du maniériste de Tolède ! Au Prado, pas question de lui attribuer une salle, comme en bénéficient déjà Zurbarán, Vélasquez et Goya. Parmi les médaillons qui ornent avec fierté le musée depuis 1828, ne cherchez pas le beau visage en lame du Greco, on l’a oublié à dessein. C’est une lente évolution de la sensibilité qui, peu à peu, lui a permis de se refaire une place aux côtés des plus grands et de devenir espagnol à part entière. On peut résumer le processus à un double mouvement ou à une double ardeur.

Les romantiques, notamment les Français – on l’oublie trop souvent –, furent les premiers à le hisser vers le haut et à interroger son étrangeté, qui communiait à distance avec la leur. Avant Barrès, Gautier a pris la route de Tolède. Au moment de son départ, le Louvre n’expose que deux ou trois Greco au milieu de quatre cents tableaux espagnols réunis par le roi Louis-Philippe. On ne peut pas dire qu’ils firent l’unanimité dans le public et la presse de l’époque. Gautier, lui, ne demande qu’à adhérer à ce peintre qu’on tient pour fou. Les quelques jours passés à Tolède, durant l’été 1840, lui révèlent un artiste dont l’extrême singularité est esthétique en son essence : « Sa folie était [...] de passer pour un imitateur du Titien, dont il avait été l’élève ; cette préoccupation le jeta dans les recherches et les caprices les plus baroques. » Explication en grande partie fausse, comme on verra, mais qui avait la vertu de situer les bizarreries du Greco sur leur terrain, la peinture et la compétition des pinceaux.

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