Écoutons la colère de la France d’à côté

Reseña de la prenda francesa.
Por Jordi Batallé - RFI.

El malestar de los franceses ante la crisis, la proposición de un gobierno de Unión Nacional en Francia, siguiendo el modelo de la “Große Koalition” alemana, y el debate sobre la prostitución en Francia son temas que destaca la prensa francesa.

“Viaje a una Francia que duda” es el titular de portada de la edición de hoy de Libération, número especial que publica reportajes realizados en los cuatro puntos cardinales del país, en los que jóvenes, desempleados, pero también artesanos y empresarios muestran su desesperación y su enfado con la clase política. En este otoño caliente, apunta Eric Découty en el editorial de Libération, los tenores de la derecha y los editorialistas de la prensa conservadora, sin mencionar los canónigos de la derecha radical, han creído ver crecer campañas de insurrección que acabarían por derrocar al poder socialista. Y sin embargo, considera Libération, no hay nada de revolucionario en las revueltas campesinas de las últimas semanas. Movimientos que han escapado a partidos políticos y sindicatos. Tras estas protestas confusas llegadas de la Francia rural o periurbana se percibe algo más que un simple enfado del campo. Los reportajes que publica hoy Libération muestran una ruralidad en la que categorías sociales, opuestas antaño, se ven unidas hoy ante parecidas fragilidades económicas. Obreros, y artesanos, pero también los jóvenes, comparten las mismas inquietudes, el mismo malestar. Son el testimonio también de una fractura territorial ante la cual el poder central parece ahora impotente. Impotencia, concluye Libération, que nutre fatalmente el rechazo de los partidos tradicionales sobre el que prospera la extrema derecha.

Continuacion

Écoutons la colère de la France d’à côté

Étonnement des médias et des politiques devant la Bretagne intérieure qui plonge dans les jacqueries. C’est que les représentations territoriales et sociologiques des élites sont obsolètes. L’Ouest, et notamment la Bretagne, est encore identifié comme une « France tranquille », celle des classes moyennes bien insérées dans l’emploi et l’économie mondialisée. Si longtemps la hausse de l’emploi public a caché le déclin de l’industrie, si longtemps les subventions ont masqué les faiblesses d’un modèle agro-industriel mal positionné et catastrophique pour l’environnement, si longtemps les régions du Grand Ouest ont été tenues à l’écart des flux migratoires, leur récente recomposition économique, sociale et démographique a changé la donne.

Du centre de la Bretagne à Villeneuve-sur-Lot (Aquitaine), du département de l’Oise à Brignoles (Var), des zones industrielles du Nord et de l’Est frappées par le chômage de masse aux régions rurales et industrielles de l’Ouest et du Sud-Ouest atteintes par la crise du modèle intensif et l’essoufflement des capacités redistributives, le décrochage frappe des territoires différents mais qui ont en commun d’être à l’écart des métropoles. Cette France périphérique, qui rassemble 60 % de la population, est celle où se déroule le destin de la grande majorité des catégories populaires.

On peut ainsi relever qu’à l’Ouest la crise ne frappe pas Nantes ou Rennes, mais d’abord les espaces ruraux et industriels et les petites villes. La carte des plans sociaux est calée sur celle de la France périphérique, pas celle de la France métropolitaine, qui produit l’essentiel du PIB français. Pour la première fois dans l’histoire, les catégories populaires ne vivent pas là où se crée la richesse.

Ce qui implose sous nos yeux, ce n’est pas seulement un modèle économique, ce sont aussi nos représentations des classes sociales. Or il faut saisir que des catégories hier opposées, ouvriers, employés, petits paysans, petits indépendants, artisans et commerçants, ou encore retraités populaires, salariés fragilisés du privé comme du public, partagent un sort commun face aux conséquences désastreuses de l’adaptation à marche forcée au modèle économique mondialisé.

UNE SOCIÉTÉ DÉCENTRÉE S’INVENTE

La montée de l’abstention et du vote Front national dans cette France pas si tranquille ne doit pas cacher le développement de nouvelles formes de mobilisations solidaires de proximité, hors des cadres traditionnels et institués. L’émergence d’une contre-société qui ne croit plus aux modèles anciens, loin de marquer une droitisation des Français, montre la volonté d’une part croissante des acteurs de reprendre leur destin en main. Face à des fractures sociales et identitaires, une société décentrée s’invente, souvent avec le soutien de communes, de collectivités territoriales ou de bailleurs sociaux, à travers l’économie sociale, des associations, mais aussi des aidants bénévoles qui font face à la fragilité d’un proche ou des habitants qui se regroupent, coopèrent, mutualisent… Une partie de la société civile innove dans des formes de solidarité centrées sur la proximité, réinvestit de manière contrainte son territoire et privilégie l’économie circulaire, adapte son mode de consommation à un pouvoir d’achat en chute libre, invente des nouvelles manières de soutenir le développement local.

Si la construction métropolitaine a démontré son efficacité à produire des richesses et à permettre l’intégration économique des populations qui vivent dans ces territoires en phase avec l’économie-monde, en revanche, un modèle économique et social alternatif et complémentaire reste à inventer. C’est à partir des réalités économiques et sociales locales que les solutions sont et seront trouvées. Politiques locales de réindustrialisation, manifeste des nouvelles ruralités, réflexions sur de nouveaux pôles d’enseignement supérieur dans des petites villes, mutualisation des services publics, prise en charge des nouveaux besoins pour les retraités populaires, les initiatives ne manquent pas. Mais ne perdons pas de vue que cette contre-société qui vient ne se développera pas dans un consensus mou.

L’émergence de ces nouvelles fractures territoriales dessine une nouvelle géopolitique locale, de nouveaux rapports de force. Comme l’a parfaitement démontré la géopoliticienne Béatrice Giblin, les territoires ont parfois des intérêts divergents, structurent et recomposent en permanence les rapports de force politiques. Nous en sommes là. Il est donc urgent de traduire institutionnellement les réalités des territoires et les besoins des populations, en sortant du débat stérile sur le meilleur échelon territorial à privilégier, pour inventer de nouvelles formes de politique publique adaptée aux réalités et permettant l’expérimentation et l’innovation sociale.

La recomposition sociale et politique de la France périphérique dessine non seulement les lignes de nouvelles fractures culturelles, mais aussi une redynamisation à venir du débat et même du conflit en politique. Il convient désormais d’ouvrir les yeux sur le sort des catégories populaires dans la mondialisation. Plutôt que les leçons de morale et les discours incantatoires, prenons au sérieux un malaise social et identitaire qui affecte désormais une part majoritaire de la population.

Serge Guérin et Christophe Guilluy (Le Monde, 22 novembre 2013)