Cortés, le grand capitaine Frédéric Valloire le jeudi, 29/09/2011

Hernán Cortés et ses hommes entrent sans combat dans Mexico. Deux ans plus tard, ils prennent la ville après un long siège. Une extraordinaire aventure.

« Nous tombâmes d’admiration. […] Certains de nos soldats disaient que ce qu’ils voyaient ne pouvait être qu’un songe. […] Nous étions en train de voir ces choses inconnues qui n’avaient même jamais été rêvées. » Devant la ville qui émerge à l’horizon, Bernal Díaz del Castillo et ses compagnons sont pétrifiés : à plus de 2 200 mètres d’altitude, sur une île lacustre, au centre d’une vallée bornée de hautes montagnes et de volcans couverts de neiges éternelles, se dresse une ville, Tenochtitlán – “l’endroit du fruit du cactus” – , que ses habitants, les Mexica, appellent aussi Mexico et où règne leur empereur, Montezuma II.

Comprendre cette confrontation exige de connaître aussi bien l’Espagne que l’Amérique centrale. À la première, l’historien britannique Hugh Thomas consacra l’un des premiers grands livres sur la guerre civile d’Espagne, paru chez Robert Laffont en 1961 (et dont une édition a été réalisée par le Spectacle du monde).

Sur la seconde, il écrivit l’une des plus importantes histoires de Cuba (1970). Et du heurt de ces deux mondes naît la Conquête du Mexique, parue au Royaume-Uni en 1993, sous le titre plus explicite de Cortés, Montezuma, and the Fall of Old Mexico. Enrichie de nombreux ajouts, voici l’une des aventures les plus extraordinaires de l’histoire de l’humanité. Un homme la domine, Hernán Cortés.

Né en 1485 à Medellín, en Estrémadure, fils d’un hidalgo, Cortés fait ses études à Salamanque, travaille chez un notaire à Valladolid : il est bon latiniste et juriste subtil. Vers 1504, il part pour Hispaniola (Saint-Domingue), s’y établit comme notaire et contribue à pacifier l’île. Il s’y montre fin négociateur et meneur d’hommes. Comme un bon nombre de ses compatriotes, il rêve de pouvoir et d’or. Plus original, il veut bâtir un autre monde. En 1511, il participe à la conquête de Cuba, fait de l’élevage, s’affiche castillan et chrétien, mais estime et respecte la culture indienne.

Le 18 février 1519, Cortés fait voile vers les côtes du Yucatán. Il a 34 ans. Il a obtenu du gouverneur de l’île, le peu recommandable Diego Velázquez, de tenter à ses frais une expédition. Non pour conquérir des terres nouvelles, mais pour secourir des navires espagnols perdus. Un prétexte, car ces navires ont abordé. Son but, secret, est Mexico. Il a 300 hommes disciplinés avec lui, des chevaux, des vivres en quantité, 10 canons, 4 fauconneaux (petites pièces d’artillerie), 13 escopettes, une trentaine d’arbalètes. La conquête se fera au fil de l’épée. Dernière harangue : Cortés parle de gloire, de l’honneur de la nation espagnole, de la libération des Indiens de l’emprise du démon. Il a un interprète, Gerónimo de Aguilar, qui a vécu prisonnier chez les Mayas du Yucatán.

Il débarque chez les Mayas, à la frontière de l’empire mexica. Bataille, négociations : les Mayas offrent des présents et des femmes pour faire la cuisine. Parmi elles, Malinche, la fille d’un cacique. Elle parle aussi bien le maya que la langue des Mexica, le nahuatl. Un atout essentiel et un hasard heureux : Cortés ignore que, dans la société nahua, les personnages d’autorité ne s’adressent jamais directement à autrui et que l’usage d’un porte-parole est une obligation protocolaire. Baptisée sous le nom de Marina, elle aura toujours droit à un traitement de princesse.

Avril 1519, premières entrevues avec les ambassadeurs de Montezuma II, qui a suivi, de sa capitale, l’avancée de la petite armada le long des côtes et connaît le sort réservé aux Indiens de Saint-Domingue et de Cuba. Mais Montezuma II refuse de recevoir Cortés à Mexico.

En revanche, des populations indi gènes sous le joug des Mexica offrent leur alliance. Sur la terre des Totonaques, Cortés fonde “la ville riche de la Vraie Croix”, Veracruz. Un acte symbolique, une rupture avec Cuba : désormais, il ne relève que du roi d’Espagne, Charles Quint, à qui il écrit le 10 juillet. C’est la première “relation” de la conquête du Mexique. Habi lement, le conquistador se place sous les auspices royaux et accompagne sa lettre des présents somptueux qu’il a reçus. Seize jours plus tard, il saborde sa flotte, pend quelques Espagnols qui protestaient et ne pense plus qu’à Mexico.
Des obstacles à surmonter, il n’en a qu’une vague idée. Montagnes, cols à 4 000 mètres d’altitude, combats, traquenards, duplicité des Mexica, qui veulent empêcher que les Espagnols n’entrent à Mexico et que Cortés massacre (3 000 personnes en deux heures) pour survivre.

Mexico ressemble à “une grande et riche Venise”

Le 8 novembre 1519, les Espagnols pénètrent dans Tenochtitlán par une chaussée assez large pour que dix cavaliers de front puissent y évoluer. Cortège savamment ordonné des Castillans au milieu de la foule impressionnante et médusée des Mexica, « puisque jamais les habitants du pays n’avaient vu ni chevaux ni hommes comme nous », explique Díaz. Une tension extrême, où l’inquiétude se mêle à l’émerveillement : « Ce que nous voyons ici de nos propres yeux, s’extasie Hernán Cortés, nous ne pouvons le comprendre avec notre entendement. »

Car ces conquistadores n’ont aucun élément de comparaison, si ce n’est qu’avec sa profusion de canaux, sa multitude d’embarcations, Tenochtitlán évoque pour eux une « grande et riche Venise ». La ville qu’ils connaissent le mieux, c’est Séville, qui compte moins de 50 000 habitants. Or, Tenochtitlán en abrite 250 000 !

Tout surprend les Espagnols, l’activité, l’hygiène, les aqueducs, les temples juchés au sommet de pyramides, les jardins flottants, les palais aux tours imposantes, la verdure de la ville, les larges avenues, la place centrale où s’élèvent le centre cérémoniel et le palais royal. Un pays prospère, propre, qui respire, écrit Cortés, « l’ordre et l’harmonie ».Avec ses ponts-levis qui coupent les trois chaussées qui le relient à la terre ferme, avec son labyrinthe de canaux et de ponts mobiles, Tenochtitlán semble inexpugnable.

Au demeurant, les Mexica sont des guerriers organisés et nombreux. Guerroyer est un devoir sacré. Celui qui s’illustre au combat appartient aux ordres chevaleresques, jaguars et aigles. « La guerre est ta récompense, ta mission », dit la sage-femme au nouveau-né. Elle ajoute : « Peut-être recevras- tu le don de la mort fleurie sous le couteau d’obsidienne. » Autrement dit, la mort sacrificielle du prisonnier de guerre, une mort aussi honorable que celle au champ d’honneur. Les armes figurent en bonne place dans le “baptême” : arc, flèche, fronde, épée de bois à pointe de pierre. S’y ajoutent la mas sue et le macuahuitl, une épée d’obsidienne noire à double tranchant qui coupe comme un rasoir.

Un des buts de la guerre est la capture de prisonniers que l’on sacrifie afin de plaire aux dieux et de retarder de vingtquatre heures la catastrophe d’un monde obscur : le dieu Huitzilopochtli, incarnation du Soleil, doit recevoir sa nourriture sous forme de sang humain pour être revivifié et pouvoir mettre en fuite chaque jour la Lune, sa soeur. Quatre prêtres maintiennent la victime sur un autel de pierre ; l’un d’entre eux extrait le coeur qui bat encore et le brandit à l’adresse du Soleil. La tête est tranchée, les membres rituellement mangés avec du maïs et du piment par les nobles et les guerriers les plus braves. En l’absence de guerre, on organise des conflits rituels, “les guerres des fleurs”, tant est nécessaire pour l’ordre cosmique le sacrifice des prisonniers. Sacrifices sanglants qui ne choquent personne.

L’empire mexica était craint et redouté, comme l’est celui qui le représente et le gère depuis 1502, Monte zuma II. En 1519, celui-ci a environ quarante ans ; il a été un grand prêtre et un général couvert de gloire. Éloquent, courtois, mais inflexible. Entouré de 200 seigneurs, il reçoit ce 8 novembre 1519 Cortés sur la place centrale de Tenochtitlán. L’empereur descend de sa luxueuse chaise à porteurs, Cortés de son cheval. L’Espagnol se décoiffe, s’apprête à étreindre l’empereur. Il est repoussé par le service d’ordre. Suit, sans un mot, un échange de cadeaux. Les Espagnols sont emmenés dans un ancien palais impérial. Là, Montezuma II dit à Cortés : « On a dû vous dire beaucoup de mal de moi. Ne faites confiance qu’à vos yeux. On a dû vous dire que toutes mes maisons étaient en or et que j’étais un dieu. Il n’en est rien. Ma maison est de pierre et de terre. Et mon corps est fait d’os et de chair. » Puis, il se retire. Les Espagnols se retrouvent seuls, enfermés au coeur de Mexico.
Six jours plus tard, Cortés prend en otage Montezuma II. Une situation nouvelle, qui garantit sa sécurité et celle des siens. Sept mois passent. Cortés apprend le nahuatl, s’informe des moeurs des Mexica, obtient des informations sur les mines d’or.

Brusquement, au mois de mai, le gouverneur de Cuba, Velázquez, lance une très importante expédition vers le Mexique et débarque à Veracruz. Alors, Cortés réalise une incroyable opération commando. Il laisse à Mexico une garnison, part avec 70 hommes, s’empare du camp de Velázquez, désarme les navires, rallie les soldats envoyés contre lui. Là, il apprend que Mexico s’est révolté à la suite du massacre dans le Grand Temple des principaux dignitaires mexicas par son lieutenant Alvarado. Le 24 juin, Cortés est de retour à Mexico.
La situation y est dramatique : Montezuma II est mort dans des circonstances obscures ; un nouvel empereur lui a succédé ; avec lui, les Mexica sont décidés à vaincre ou à mourir. Cortès décide de retirer ses hommes. Le 30 juin, la colonne des Espagnols est attaquée, sectionnée, les ponts sont coupés, son trésor perdu, englouti dans les eaux de la lagune. Au petit jour, Cortés pleure. Plus de la moitié de sa troupe a été tuée. Il ne lui reste que 600hommes avec ses alliés indiens. C’est alors que, méthodiquement, il prépare la reconquête de la capitale sur le plan diplomatique et militaire. Il décide d’une opération amphibie et fait construire des chaloupes. Il compte quelque 650 fantassins, 85 cavaliers, 194 arbalétriers et arquebusiers et approximativement 25000 Indiens. Face à lui, environ 300000 guerriers avec leurs familles.
Le siège commence par une série d’échecs cuisants pour les Espagnols. Il dure jusqu’au 13 août 1521, date à la quelle le nouvel empereur est fait pri sonnier et appelle à la reddition. Les Mexica se défendent si bien qu’il faut prendre la ville maison par maison, puis les brûler pour éviter qu’elles ne soient réinvesties. Du côté mexica, il y eut au moins 100 000 disparus, une sorte de suicide collectif. Mais, de ce désastre, Cortés allait faire naître un nouveau pays et une nouvelle société.

Frédéric Valloire

À lire
La Conquête du Mexique, de Hugh Thomas, Robert Laffont, coll. “Bouquins”, 1 088 pages, 32 €.

Cortés, le conquérant de l’impossible, de Bartolomé Bennassar, Payot, 360pages, 22,11 €.

Cortés, de Christian Duverger, Fayard, 496 pages, 27 €.

Conquérants et chroniqueurs espagnols en pays maya, 1517-1697, textes traduits et présentés par François Baldy, Les Belles Lettres, deux volumes, 512 et 714 pages, 35 et 45 €.

http://www.valeursactuelles.com/histoire/actualit%C3%A9s/cort%C3%A9s-grand-capitaine20110929.html