Sur l’Altiplano, les Boliviens placent leurs espoirs dans l’exploitation du lithium
LE MONDE pour Le Monde.fr | 07.07.10
Le lithium est la grande affaire du second mandat du président bolivien Evo Morales. L’exploitation de ce métal mou, utilisé pour fabriquer des batteries électriques, devait procurer à l’Etat un bénéfice équivalent à celui obtenu avec la nationalisation des hydrocarbures, le 1er mai 2006. Le prix de la tonne de carbonate de lithium a décuplé en huit ans et presque doublé depuis 2006. Son industrialisation est un projet stratégique pour Evo Morales, mais La Paz peine à effectuer les arbitrages entre les partenaires étrangers pressentis.
A La Paz, le 28 avril, le groupe français Bolloré avait exprimé son impatience devant le retard pris par l’industrialisation. Pour sécuriser l’approvisionnement en batteries au lithium de sa voiture électrique la BlueCar, le milliardaire français s’est associé à Eramet, le groupe minier qui exploite le nickel de Nouvelle-Calédonie et le manganèse du Gabon.
Fin janvier, la Bolivie a annoncé qu’elle possède au Salar d’Uyuni, un désert de sel au sud-ouest du pays, un gisement de lithium trois fois plus important que celui exploité par le Chili, dans le désert d’Atacama. Les Boliviens détiendraient ainsi la moitié des réserves mondiales, mais elles ne sont pas certifiées.
Située à proximité du Salar, l’usine pilote est située dans un paysage aride, "là où le diable a perdu son poncho ", disent les Boliviens. La première pierre avait été posée solennellement par M. Morales, en mai 2008. "Mais les premiers fonds ont été débloqués seulement en octobre 2008 ", déplore Marcelo Castro, responsable de l’usine pilote. Fin 2009, la construction avait coûté 3 millions de dollars, sur les 8 millions d’investissement initial.
Le personnel est insuffisant, admet M. Castro, qui passe ses journées à expliquer le projet aux populations de la région. Visiblement exténué le soir, il ne s’en plaint pas, car "le lithium est une chance unique pour le développement durable de la Bolivie".
Méfiant à l’égard des convoitises que suscite le métal mou, il n’oublie pas la longue histoire de saccages dont ont été victimes les Boliviens depuis l’époque coloniale. Il croit que l’entreprise minière d’Etat, la Comibol, devrait garder la maîtrise de l’industrialisation du lithium, de la fabrication de batteries à l’assemblage des voitures électriques qui les utilisent.
UN BIENFAIT POUR LES PAYSANS PAUVRES ?
Au siège de la Fédération des paysans, le secrétaire général, Santiago Miranda, partage la même position nationaliste. "Cette ressource naturelle doit être exploitée par une entreprise d’Etat, 100 % bolivienne", affirme-t-il. Dans la petite pièce d’à côté, la radio de la fédération, qui émet en ondes courtes sur tout le sud de l’Altiplano, haut plateau au cœur de la cordillère des Andes, vante les bienfaits qu’apportera le lithium aux communautés indiennes vivant de la production de quinoa et de l’élevage de lamas.
D’autres syndicalistes ont une opinion différente. "La Bolivie manque de professionnels qualifiés", estime Miguel Angel Laura Alvarez, dirigeant de la fédération des enseignants ruraux. "Nous avons besoin du soutien d’entreprises étrangères", dit-il.
Dans le minuscule centre-ville d’Uyuni, le Comité de vigilance regroupe des organisations sociales qui prêtent assistance à la population. Porfirio Garabito, le responsable, est mécontent. "L’usine pilote n’a pas embauché des gens d’Uyuni, nous avons été marginalisés", assure-t-il. Il pense, lui aussi, que la participation de compagnies étrangères est la bienvenue.
Oscar Mamani, producteur de quinoa, est méfiant à l’égard de l’entreprise publique Comibol, entachée à ses yeux par "la politisation, l’incompétence et la corruption". Il s’inquiète également de la répartition injuste des royalties : le département de Potosi en toucherait 85 %, contre 15 % seulement pour la municipalité.
UNE MERVEILLE DE LA NATURE EN DANGER ?
Uyuni est une agglomération de 25 000 habitants, vivant du tourisme. Le désert de sel, une merveille de la nature, attire 75 000 visiteurs par an, en provenance d’Europe et d’Amérique du Sud. Ancien centre ferroviaire proche de la frontière chilienne, la ville exploite mal les vestiges de son activité passée, comme le cimetière de locomotives et wagons.
L’infrastructure routière et hôtelière reste rudimentaire, capable de satisfaire tout juste des touristes peu exigeants et peu dépensiers. Une partie des 78 agences de tourisme couvre en fait le trafic de drogues ou la contrebande. D’où l’immense attente suscitée par le lithium, mais aussi les inquiétudes pour l’environnement.
Maire d’Uyuni, poète et folkloriste à ses heures, Vidal Lopez Pérez se range parmi les optimistes. "Les piscines installées sur le Salar pour extraire la saumure occuperont une partie infime de ses 10 000 kilomètres carrés, je ne pense pas que le paysage en sera affecté durablement", dit-il. Toutefois, le gouvernement devrait informer et consulter la population et les autorités locales, ce qu’il ne fait pas, ajoute le maire.
"Le lithium pourrait modifier la matrice énergétique des véhicules, explique Freddy Beltran, au ministère des mines, à La Paz. Nous contribuerions ainsi à réduire le réchauffement climatique." Le coût du projet d’exploitation et d’industrialisation s’élève à près de 400 millions d’euros, auxquels il faut ajouter une somme équivalente pour les infrastructures requises. Sur ce contrat, les Français sont en concurrence avec la Corée, la Chine, le Brésil et l’Iran.
Paulo A. Paranagua