Antítesis

La grammaire française en péril

Il se passe pour la grammaire française ce qui s’est déjà passé, il n’y a pas si longtemps, pour la lecture. Les enseignants jurent qu’ils n’y sont pour rien si les Français conjuguent mal et que, finalement, tout va pour le mieux dans cette matière. On en sait un peu plus, heureusement, depuis la remise, l’an dernier, du rapport Bentolila (*) au ministre de l’Education nationale. Hélas, nous ne voyons toujours pas venir les réformes promises.

Mais il ne fait plus aucun doute pour personne, aujourd’hui, sauf pour quelques syndicalistes aux belles œillères, que les jeunes élèves « s’attachent » désormais moins au phrasé et à la forme de leurs écrits. A tel point que l’on se demande parfois s’ils ont appris un jour ce qu’était le « complément d’objet direct placé avant » et s’il est toujours d’actualité de ne pas faire de phrases sans verbe.

Etre ou savoir, telle est toujours la question de conjugaison dans les familles, mais beaucoup moins, semble-t-il, sur les bancs de l’école.

Il suffit de lire les lettres de demandes de stage ou d’emploi, les cartes postales envoyées aux grands-parents ou les dissertations d’avant- ou d’après-bac pour « apprécier » le vent de liberté qui s’est abattu sur la grammaire de nos aînés. Au point presque de détruire l’œuvre de Jules Ferry qui voulait, en généralisant la pratique scolaire de la grammaire, « unifier » l’orthographe au sein de la Nation.

Hélas, il y a, sous notre latitude, autant de réformateurs que d’enseignants qui, sous prétexte d’intelligence, en oublient les règles de base et les fondamentaux.

Aujourd’hui, si l’on en juge par les livres mis à disposition de nos chères têtes blondes, il est devenu iconoclaste de dire qu’un nom sert à nommer, qu’un pronom c’est « pour le nom » et que « un participe passé s’accorde en genre et en nombre avec le mot auquel il se rapporte si ce mot est placé avant ». Car c’est vouloir faire trop simple là où il est de bon ton de complexifier.

Les résultats sont là. Et les faits aussi, honteusement précis et tristement douloureux.

Aujourd’hui, à la fin du CM2 (la dernière classe du cycle d’approfondissement qui précède l’entrée au collège) en France, le quart des élèves ne sait pas lire. Et la majorité d’entre eux ne maîtrise ni l’orthographe, ni la grammaire, ni les conjugaisons. Sans parler du reste.

Il faut donc en finir une bonne fois pour toutes avec certains idéologues qui professent que « c’est l’élève qui construit lui-même ses savoirs ». Car, faute de structures pour eux-mêmes, ces « éducateurs » inversent les facteurs pour les autres.

Le linguiste Alain Bentolila les connaît bien pour les avoir déjà dénoncés depuis de longues années. Il sait tout le mal qu’ont pu causer tous ceux qui font des « rappeurs » de nouveaux Beaudelaire, s’émerveillent devant la pseudo-culture des cités et le langage « fleuri » des quartiers.

La grammaire, la simple grammaire, celle des débutants et des laborieux, celle des besogneux et des méritants, celle de nos pères et de nos enfants, attend un peu plus de vertu des enseignants. Qu’ils soient avant tout d’honnêtes et consciencieux pédagogues, des transmetteurs de savoir, avant de rêver de l’air du temps, comme de simples… démagogues.

Jean-Paul Busnel
« Le Québécois libre » n° 239

http://www.quebecoislibre.org/
Montréal, 28/10/07

Jean-Paul Busnel est ancien journaliste et éditorialiste, aujourd’hui professeur associé et consultant en communication de crise.

(*) « Rapport de mission sur l’enseignement de la grammaire », Alain Bentolila, linguiste, professeur des universités, Paris 5–Sorbonne, 26/11/06.
media.education.gouv.fr/file/68/3/3683.pdf