Non, le coronavirus ne transforme pas l’Éducation nationale en Garderie nationale, elle l’était déjà 30/04/2020

L’école est devenue un divertissement. Le Covid-19 n’est que le révélateur des transformations à l’oeuvre au sein de l’Éducation nationale.

César P. Professeur d’histoire-géo, a enseigné dans des collèges ZEP ou plus privilégiés, docteur des universités, spécialiste d’histoire romaine

À partir du 11 mai 2020 et les semaines suivantes, l’École va ouvrir après cette période de confinement. Sous couvert d’égalité républicaine et de soutien aux élèves les plus en difficulté, c’est en réalité une priorité économique qui précipite la réouverture des établissements scolaires. Certains y voient la mise en place d’une “garderie nationale”; erreur d’interprétation: l’Éducation nationale est déjà depuis une dizaine d’années transformée en Garderie nationale.

Avec l’émergence d’un nouveau virus qui touche l’ensemble de la planète, les gouvernements ont dû faire face à une crise sanitaire qui, depuis des siècles, était inconnue de nous. Face à l’ampleur de la pandémie, le confinement semblait être la meilleure des solutions; cette décision impliquait la fermeture des entreprises, et la mise en suspens de l’économie, et surtout la fermeture des établissements scolaires qui furent même les premiers à fermer (lundi 16 mars 2020). Un mois et demi plus tard, après une période de continuité pédagogique numérique (dont il faudra faire objectivement le bilan), le gouvernement a décidé la réouverture des établissements scolaires selon des modalités progressives. Raisons officielles: limiter le décrochage scolaire causé par les difficultés de la continuité pédagogique (pourtant si efficace aux dires de notre Ministre) et réduire les inégalités entre les élèves qui s’accroissent à cause de cette situation (en omettant la situation antérieure bien évidemment); raison officieuse: il faut sauver le soldat Économie. Certains points évoqués ici mériteraient également un article mais ils ne sont pas l’objet de notre propos.

Depuis la décision et le plan de réouverture proposé par le Ministre de l’Éducation nationale, certains ont dénoncé le fait que l’objectif réel était de permettre aux parents de se “libérer” de leurs enfants afin de pouvoir sereinement reprendre le travail. Ainsi, on a accusé le Ministre de transformer l’Éducation nationale en Garderie nationale. Or c’est une erreur de postulat: on n’a pas attendu le Covid-19 pour faire de l’École -ce beau projet d’égalité républicaine, d’ascension républicaine- une Garderie gratuite et distrayante.
Le nombre d’élèves par classe augmente, le nombre de professeurs recule

Par où commencer? Prenons le nombre d’élèves par classe par exemple. Le nombre d’enfants a augmenté depuis quelques années et le nombre de professeurs lui recule. Un ratio simple conduit donc à avoir fait augmenter le nombre d’élèves par classe, atteignant par exemple les 28 élèves en primaire, 30 en collège et 36 en lycée. Pourtant il faut que le professeur accompagne ces élèves, leur apporte les acquis nécessaires à leur réussite, tout en prenant en compte leur particularité. Tout ceci en 55 minutes (théoriques) pour le secondaire et étalées dans la semaine, sans oublier les connaissances spécifiques à sa discipline, essentielles pour pouvoir travailler et sur lesquelles on s’appuie pour développer d’autres compétences.

Pour le primaire, ce sont de multiples activités aussi diverses que variées qui se multiplient et dont l’utilité pour certaines restent à prouver. Vous allez dire que tout ça a toujours existé; oui certes mais il y a une vingtaine d’années, certains élèves en difficulté étaient réorientés, on offrait la possibilité d’une scolarité plus adaptée et on allégeait les classes d’un point de vue du travail d’accompagnement du professeur. Depuis dix ans, on veut que tous les élèves suivent une scolarité “normale” sous couvert de scolarité générale; on ne prend plus en compte le fait que, oui certains élèves n’ont pas les aptitudes pour suivre une scolarité générale et se retrouvent en grande difficulté et en échec parfois durs à vivre pour eux. Et pourtant on demande au professeur de s’en occuper, tout en permettant aux autres élèves d’avoir des connaissances et des compétences toujours plus accrues, mais sans pour autant mettre à part les élèves en difficulté et bien évidemment sans les “stigmatiser”.
L’accueil d’enfants ayant tous types de handicap

Et nouvelle étape en cette rentrée 2020: l’accueil d’enfants ayant tous types de handicap (étant moi-même handicapé et ayant grandi dans une école et une société des années 1980-1990 pleinement ouverte aux personnes handicapées, je pense malgré tout être bien placé pour en parler). Aujourd’hui, au spectre large des profils d’élèves évoqués plus haut, se rajoute dans les classes des enfants pouvant avoir des handicaps cognitifs lourds. Là encore, le professeur doit donc adapter (et de 3, voire 4, 5, 6…) ses enseignements à cet élève tout en “donnant à manger” à l’élève “classique” qui veut apprendre et progresser, tout en aidant un autre élève qui a des difficultés mais qui peut progresser si on l’accompagne, mais sans oublier l’élève décrocheur qui ne comprend plus rien et reste en classe parce que c’est obligatoire, et maintenant il faut aussi aider ce petit qui a certes une aide humaine (merci aux accompagnants des élèves en situation de handicap) mais sans qu’il se sente exclu. Une équation à plusieurs inconnues digne de la physique théorique que le professeur doit pourtant résoudre. Quel est l’objectif alors? Permettre aux parents de mettre leur enfant dans une structure où il est accompagné, surveillé, un peu formé, mais surtout il est donc gardé, et c’est gratuit! Donc pour nous, c’est le premier exemple que les politiques éducatives ont entériné l’idée que le système éducatif servirait de Garderie avant tout.
La disparition du conseil de classe et du redoublement

Des doutes subsistent? Très bien, alors abordons désormais un outil qui, autrefois, permettait au professeur de maintenir l’idée d’un apprentissage essentiel et oui c’est utile: la disparition des conseils de classe. L’appellation conseil de classe est ici employée de manière générale car il n’y en a pas vraiment dans le primaire; toutefois, la notion de passage ou non, selon les capacités de l’élève est également abordé (normalement) en fin d’année. Donc ici, il faut entendre conseil de classe comme dispositif/étape faisant le bilan et définissant la capacité de passer ou non aux étapes suivantes.

Il ne s’agit pas d’ouvrir le débat sur le bien fondé ou non du redoublement. Oui on trouvera des cas où il est inefficace; mais on trouvera des cas où il est efficace. Une chose est sûre, justifier la “suppression” du redoublement pour des raisons économiques (car il s’agit bien de cela fondamentalement) est tout bonnement inadmissible. La logique économique justifiée par des tableaux Excel n’a jamais fait de bonnes réalités.

Revenons un peu sur le fondement de la fin du redoublement et avec lui sur la perte d’utilité du conseil de classe. Aujourd’hui un élève ne “redouble” plus car c’est inutile, c’est prouvé scientifiquement que le choix du redoublement est un échec. Donc on fait passer les élèves quel que soit leur niveau et pire quelles que soient leurs difficultés. Quel sens donne-t-on alors à l’éducation quand, en ne travaillant pas, en ayant des résultats catastrophiques, vous gravissez les barreaux de l’échelle du système scolaire? Le corps enseignant n’a plus son mot à dire; non pardon, il peut donner son avis mais sa parole n’est plus valable, elle n’a plus aucun sens puisque ce sont les parents qui décident. On peut rétorquer que c’est faux: le conseil de classe peut décider que non l’élève ne passera pas et alors un recours se met en place auprès d’une Commission rectorale. Qui n’a jamais assisté à ce genre de Commission ne peut affirmer que le corps enseignant a de la considération; quand un élève a 7 de moyenne et que les membres de la Commission lui disent que ça devrait aller au lycée l’an prochain, qu’il va travailler plus sérieusement, que les parents (présents avec l’élève) répondent que oui, à la place de l’élève donc, et qu’à cet instant la Commission se retourne vers vous pour vous dire que dans ce cas il n’y a pas de raison, il peut passer: affirmons donc qu’un recours objectif et sérieux existe. Autre exemple, il n’apparaît pas incongru à un proviseur de lycée de faire passer une élève de seconde avec 4 de moyenne en français, 5 en histoire-géographie et en anglais, 3 en espagnol, en première L, car “elle va travailler, elle va s’y mettre sérieusement”. Et le cas se retrouve en fin de primaire… et chaque barreau est franchi en leurrant les parents, et pire les enfants, sur leur prétendu niveau et réussite. Et le couperet Parcoursup tombe et là ô scandale, les parents ne comprennent pas: pourtant Cassandre leur avait parlé des années auparavant.

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