La « terreur » des indépendantistes catalans Par Sandrine Morel (Barcelone, envoyée spéciale)

La candidate de Ciudadanos en Catalogne, Ines Arrimadas, est en tête des sondages avant le scrutin du 21 décembre.

LE MONDE | 18.12.2017

A trois jours des élections catalanes du 21 décembre, Ines Arrimadas fait trembler les indépendantistes. A 36 ans, la chef de l’opposition en Catalogne depuis les élections de septembre 2015, à la tête de la formation libérale et antinationaliste, Ciudadanos, dans la région, est au coude-à-coude avec la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) dans les sondages. Les deux partis se disputent la première place, à près de 23 % des intentions de vote.

Son programme est simple : en finir avec le « processus » séparatiste dans lequel s’est lancée la Catalogne en 2012, améliorer le financement régional pour désactiver l’argument de « l’Espagne nous vole », investir dans la santé et l’éducation l’argent destiné jusque-là par les indépendantistes à la construction de « structures d’Etat », baisser les impôts régionaux des classes moyennes, ou encore exiger de Madrid davantage d’investissements dans les infrastructures locales.

« Je veux être la présidente de tous les Catalans, indépendantistes et non indépendantistes », répète, dans ses meetings, la jeune femme, qui s’est mariée à un ancien député nationaliste de Convergence démocratique de Catalogne, le parti des anciens présidents catalans Jordi Pujol, Artur Mas et Carles Puigdemont.
« Désastre collectif »

Tout en reconnaissant qu’il faudra du temps pour ressouder la société catalane, elle est convaincue qu’il suffira d’améliorer le quotidien des Catalans pour que le mouvement indépendantiste se dégonfle. Sa victoire serait un choc. Depuis le retour de la démocratie en 1977, jamais un parti non nationaliste n’est arrivé en tête des régionales catalanes. Et pour les indépendantistes, Ciudadanos, fondé en Catalogne en 2006 contre le nationalisme catalan, est, plus encore que le Parti populaire (PP, droite), l’ennemi juré.

Pour l’ex-ministre régional des affaires extérieures, Raul Romeva, numéro trois de la liste d’ERC, si Ciudadanos l’emportait, ce serait un « désastre collectif », a-t-il ainsi affirmé, le 12 décembre, allant jusqu’à déclarer que « si la prochaine présidente s’appelle Ines Arrimadas, nous entrons dans une dimension d’ostracisme absolu social et institutionnel qui durera des années. »

« Ciudadanos bénéficie du contexte de polarisation actuel entre indépendantistes et anti-indépendantistes », souligne le politologue Pablo Simon, professeur de sciences politiques de l’université Carlos-III de Madrid, qui rappelle que la formation est née comme une réponse au nationalisme catalan, « avec un discours frontal qui remettait en cause l’enseignement uniquement en catalan dans les écoles et le rôle de la télévision publique catalane TV3, et qui considérait que le castillan était maltraité en Catalogne. De plus, contrairement aux conservateurs et socialistes espagnols, il n’a jamais scellé d’accord avec les nationalistes catalans ou basques. Son pedigree antinationaliste est pur ».

Cela explique que Ciudadanos soit en train d’absorber près de la moitié des voix des électeurs du Parti populaire (PP, droite), et se dispute une partie de celles du Parti socialiste catalan et des abstentionnistes. Mais surtout, la personnalité d’Ines Arrimadas lui a permis de conquérir une grande partie de l’électorat non indépendantiste. Cette jeune promesse de la nouvelle scène politique espagnole s’est forgé une expérience politique solide en affrontant, tous les jours, au Parlement catalan, les indépendantistes.
« Discours moderne, centriste »

Moderne, jeune, dynamique, séduisante, cette brune aux grands yeux noirs née en Andalousie, à Jerez de la Frontera, de parents originaires de Salamanque, en Castille-Léon, fan du FC Barcelone depuis l’enfance, parle mieux catalan que nombre de députés nationalistes, bien qu’elle ne vive à Barcelone que depuis une dizaine d’années. Ce que ses adversaires ne manquent pas de lui rappeler : « Pourquoi ne retournes-tu pas à Cadix ? », lui a lancé, sur Twitter, l’ancienne présidente du parlement catalan Nuria de Gispert, le 16 novembre. Ses dons d’oratrice et son courage, face aux nombreuses insultes et menaces dont elle est régulièrement la cible, ont forgé l’admiration d’une partie de la population.

Diplômée en droit et en administration et direction des entreprises, Ines Arrimadas a vécu un an à Nice, en tant qu’étudiante Erasmus à l’Institut de préparation à l’administration et à la gestion. Ancienne consultante en stratégie et opérations pour un cabinet de conseil spécialisé dans les services aux administrations publiques, rien ne la prédisposait à la politique. En 2010, c’est par hasard qu’une amie l’emmène à un meeting d’Albert Rivera, le jeune président de Ciudadanos, qui, à l’époque, ne concourt qu’en Catalogne et ne compte que trois députés. Elle est immédiatement séduite et s’engage. « Il y avait des professionnels de tous les secteurs. Le discours était moderne, centriste. Il y avait déjà une forte inquiétude sur la corruption », explique-t-elle.
« Une Espagne qui avance »

Ciudadanos est l’autre pendant de la régénération politique impulsée par la crise et la volonté des jeunes générations de changer le pays. Si de la gauche est né Podemos, du centre surgit Ciudadanos. Pour Ines Arrimadas, c’est « l’alternative politique qui manque : une Espagne qui avance, loin de l’immobilisme du PP et du PSOE [Parti socialiste ouvrier espagnol], opposée au séparatisme qui a élevé l’Espagne au rang d’ennemi, et aux discours identitaires qui divisent, une alternative sensée et sérieuse, un espoir réaliste, un projet de réforme de l’Espagne pour ceux qui doutent que ça vaille le coup d’y rester… »

En 2015, après avoir pris les rênes de la formation en Catalogne pour laisser Albert Rivera faire le saut au Parlement espagnol, elle obtient 17,9 % des voix et 25 députés. « Ines Arrimadas a une bonne cote de popularité. Elle a le sens de la dialectique. C’est la seule femme tête de liste. Le contexte de polarisation l’aide, résume Pablo Simon. Et pourtant, le paradoxe est qu’elle peut arriver en tête sans être capable de gouverner. »

Car à trois jours des élections, les sondages laissent augurer un blocage politique en Catalogne. Indépendantistes et non-indépendantistes pourraient n’avoir ni l’un ni l’autre la majorité absolue pour gouverner. Et la coalition de la gauche radicale Catalogne en commun-Podem, opposée à la logique de blocs, ne veut ni des libéraux de Ciudadanos, ni de la droite nationaliste de Carles Puigdemont.