L’Amérique latine Avec Alain Rouquié, président de la Maison de l’Amérique latine

L’ AMÉRIQUE LATINE

Alain Rouquié vous êtes spécialiste de l’Amérique latine où vous avez occupé plusieurs postes diplomatiques, notamment celui d’ambassadeur au Mexique et au Brésil. Vous êtes directeur de recherche émérite au CERI-Sciences Po et président de la Maison de l’Amérique latine. Vous êtes l’auteur de nombreux ouvrages de référence, entre autres l’Introduction à l’Extrême-Occident publié en 1987, Guerres et paix en Amérique centrale en 1992 ou encore Le Brésil au XXIe siècle : Naissance d’un nouveau grand, paru en 2006. Avec vous, nous allons nous intéresser à l’Amérique latine.

La chute des dictatures et régimes militaires en Amérique du Sud à partir des années 80 a engendré l’établissement de démocraties « progressistes » dans de nombreux pays. En 1999, Hugo Chavez, qui se réclame de Simon Bolivar et entend instaurer « le socialisme du XXI siècle » au Venezuela, devient président par la voie des urnes. De nombreuses transformations politiques s’ensuivent dans la région avec l’élection de Luis Inacio Lula da Silva au Brésil en 2002, de Nestor Kirchner en Argentine en 2003, alors que le pays subit une grave crise financière, d’Evo Morales en Bolivie en 2005 ou encore de Michelle Bachelet au Chili en 2006. Ces nouveaux leaders rompent avec les politiques néolibérales de leurs prédécesseurs, et mettent en place des réformes progressistes, entre nationalisations, programmes sociaux, investissements dans l’éducation et volonté de réduire la pauvreté en s’adressant aux franges les plus marginalisées de la population.

Entre 2002 et 2014, la pauvreté recule d’environ 44 à 28 % sur une grande partie du sous-continent et de nombreux pays connaissent une forte expansion de leur classe moyenne. Si ces démocraties ont largement contribué aux avancées sociales et économiques de leurs pays au cours de la première décennie du XXIe siècle, certaines connaissent par la suite un reflux démocratique, voire des dérives autoritaires.

Depuis 2015, l’Amérique latine fait face à un nouveau tournant, avec une recomposition du paysage politique au détriment des gauches. L’opposition vénézuélienne a remporté les élections législatives de décembre 2015, la présidente brésilienne Dilma Rousseff a été destituée en août 2016 après l’implication de son parti dans l’affaire de corruption Petrobras. Le péronisme argentin a été battu en novembre 2015 par un candidat de centre droit, Mauricio Macri qui, après avoir dénoncé la corruption sous le gouvernement de Cristina Kirchner est désormais empêtré dans des affaires de trafic d’influence, comme dans le scandale des Panama Papers.

Le tournant politique que traverse l’Amérique latine va de pair avec la crise économique qui touche certains pays, en particulier l’Équateur, le Venezuela, l’Argentine et le Brésil. Entre 2003 et 2012, la région a connu une période de prospérité économique importante, due en particulier au « supercycle » de hausse des prix des matières premières encouragé par la demande asiatique et chinoise.

Or, selon vous, « ce qui fait le malheur de l’Amérique latine, c’est sa richesse », car la dépendance des pays producteurs aux exportations et à la volatilité des cours internationaux l’ont rendue prisonnière de ses ressources. La chute du prix du pétrole explique en partie la crise que connaît le Venezuela aujourd’hui, crise liée à une inflation et une récession considérables. L’Argentine et le Brésil connaissent des situations similaires, alors que ce dernier, membre des BRICS et plus grande puissance d’Amérique du sud, a enregistré ces dernières années un recul de 7% de son PIB. Cette période de récession contraste cependant avec la croissance de certains pays, tels que la Bolivie, Cuba ou encore le Pérou. La stabilité économique du Mexique est quant à elle incertaine depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, qui a entamé la renégociation de l’accord de libre-échange nord-américain, et entend augmenter les droits de douane. Signataire de l’Alena depuis 1993, le Mexique destine environ un tiers de ses exportations à son voisin du nord. Face aux velléités isolationnistes des États-Unis, la Chine a quant à elle exprimé sa volonté de consolider sa présence en Amérique du Sud.

Le Brésil a-t-il perdu sa légitimité au sein des BRICS, et quel est encore le poids du Mercosur ? Alors que l’Argentine reprend doucement le chemin de la croissance, Mauricio Macri reste très contesté par une grande partie de la population. Peut-on imaginer une nouvelle victoire du péronisme lors des législatives d’octobre 2017 ? Comment expliquez vous le retour des « démocraties hégémoniques » en Amérique latine, mais aussi à l’international comme en Turquie avec Erdogan ? Vous affirmez que les richesses de l’Amérique latine sont responsables de son « malheur ». Comment pourrait-elle profiter de ses richesses sans en dépendre ?

Intervenants

Alain Rouquié
François Bujon de l’Estang
Ambassadeur de France
Béatrice Giblin
Géographe, professeur à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris 8), et directrice de la revue Hérodote
Nicole Gnesotto
présidente du conseil d’administration de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, professeur, titulaire de la chaire sur l’Union européenne au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM)