Catalogne indépendante : rêve ou cauchemar ? FIGARO VOX Vox Monde Par Benoît Pellistrandi Publié le 28/09/2015 à 13:27

FIGAROVOX/ANALYSE - Benoît Pellistrandi estime que l’indépendance de la Catalogne, si elle n’a jamais paru si proche, sera très difficile à mettre en place. Elle porterait même préjudice aux Catalans .

Benoît Pellistrandi est ancien élève de l’École normale supérieure et agrégé d’histoire. Il est actuellement professeur en classes préparatoires au lycée Condorcet.

Dimanche 27 septembre, les électeurs résidents de Catalogne étaient appelés aux urnes pour renouveler leur parlement régional. Il s’agissait de la dixième élection de ce genre depuis qu’en 1980, la région a commencé de faire fonctionner ses institutions autonomes. Les élections régionales mobilisaient moins que les élections générales pour envoyer des députés à Madrid. De 1980 à 2012, la moyenne de participation s’établissait à 61% contre 71% pour les élections nationales. Mais ce dimanche, le taux de participation a atteint le record de 77,44%.

L’enjeu était de taille. Le panorama politique nationaliste avait été recomposé de fond en comble pour fonder une revendication indépendantiste. Du côté des partis “nationaux”, la question était de savoir comment se rééquilibreraient les forces et si les nouveaux venus sur la scène politique - Podemos à gauche, Ciudadanos (Citoyens) au centre - étaient en mesure de dépasser les deux formations traditionnelles: le Parti Socialiste et le Parti Populaire.

Les résultats semblent sans appel: les indépendantistes obtiennent une majorité absolue de sièges (72 contre 63). Ils sont pourtant lourds d’ambiguïtés politiques et porteurs de plus de questions que de réponses.

Tout a changé quand Artur Mas a choisi d’embrasser la cause indépendantiste. Il le fit d’abord par tactique : il s’agissait de mordre sur l’électorat de ses concurrents et surtout de construire un bras de fer avec Madrid pour négocier en position de force un statut encore plus favorable à l’autonomie.

Les ambiguïtés politiques d’abord. La liste arrivée en tête - Junts pel Si - (62 sièges et presque 40% des voix) est un conglomérat de forces politiques hétérogènes. La composent principalement les deux formations Convergence Démocratique de Catalogne (du président Artur Mas) et Gauche Républicaine de Catalogne (Esquerra Republicana de Catalunya - ERC - de Oriol Junqueras). Ces deux formations ont été, jusqu’en 2012, “ennemies”. Toutes deux chassaient du côté des nationalistes. Mais là où ERC était radicale, CDC se présentait comme le nationalisme prudent et raisonnable. Tout a changé quand Artur Mas a choisi d’embrasser la cause indépendantiste. Il le fit d’abord par tactique: il s’agissait de mordre sur l’électorat de ses concurrents et surtout de construire un bras de fer avec Madrid pour négocier en position de force un statut encore plus favorable à l’autonomie. En 2012, il procéda à une dissolution de son Parlement. De 62 sièges, sa formation tomba à 50… d’où l’impérieuse nécessité de composer avec plus radical que lui (ERC avait alors obtenu 23 sièges).

C’est là que les choses se sont compliquées et qu’Artur Mas a été pris au piège de sa surenchère. Le nationaliste avait fait de l’indépendance un levier de négociation: le voilà obligé d’y croire… ou de feindre d’y croire!

Les deux formations disposaient de la majorité absolue dans le Parlement sortant… elles la manquent. Avec 62 sièges, la liste unitaire perd 11 sièges par rapport au total de deux candidatures distinctes en 2012. Est-ce un succès?

D’autant que le sésame de la majorité absolue est aux mains d’un parti encore plus radical la Candidature d’Unité Populaire, une gauche radicale qui souhaite proclamer dans les trois mois l’indépendance de la République démocratique et sociale de Catalogne. Son leader, Antonio Baños, a d’ores et déjà appelé ses électeurs à désobéir aux lois espagnoles.

Former un gouvernement catalan en dépit de la concurrence de ces indépendantismes ne sera pas simple d’autant que beaucoup de nationalistes élus hier sont des indépendantistes de la onzième heure… regardés avec suscpicion par les militants historiques.

Quant aux autres forces politiques, le Parti populaire, actuellement au pouvoir à Madrid, a subi une véritable déroute perdant 8 de ses 19 députés au profit de la formation centriste Ciudadanos qui passe de 10 à 25 sièges! Cela veut clairement dire que la dynamique victorieuse est au centre. Lors des élections générales du 20 décembre prochain - et les Catalans revoteront cette fois-ci pour envoyer des députés à Madrid - le Parti populaire devra faire le deuil de ses élus catalans. Voilà qui n’est pas de bon augure pour ses envies de victoire. Le Parti socialiste a survécu aux ambitions de Podemos… qui démontre là son immaturité politique et organisationnelle. Tout cela esquisse une recomposition favorable au centre-gauche d’ici à décembre.

L’indépendance est-elle cependant possible? De ces blocages et de ces dialogues de sourds entre institutions espagnoles - ne l’oublions pas: la Generalitat de Catalogne, le gouvernement régional, et le Parlement de Catalogne existent par la Constitution et représentent, en Catalogne, la forme de l’État espagnol -, on est arrivé à une situation hautement explosive. La raison politique s’est évaporée sous les puissantes senteurs enivrantes de l’émotion. La société catalane est éduquée avec un discours victimiste qui a réussi à convaincre une très large partie de l’opinion publique que les Catalans sont humiliés et opprimés. Rien n’est plus faux que ces approximations historiques. Là, l’historien ne peut être que révolté devant cette instrumentalisation, quand il ne s’agit pas de mensonge, du passé. Ce “traumatisme” fabriqué constitue aujourd’hui l’élément le plus difficile à réduire pour s’engager dans la voie du dialogue. Il est fait d’une ignorance grave sur le passé national commun aux Catalans et aux Espagnols.

Depuis 2012, la Generalitat - gouvernement régional - de Catalogne n’a plus accès aux marchés financiers. Elle se finance par l’intermédiaire de Madrid car la signature de l’État espagnol jouit de la confiance des marchés… pas celle de la Catalogne.

Car tout le reste, c’est-à-dire des questions aussi techniques que le transfert des charges financières d’un État à l’autre - par exemple, la future Sécurité sociale catalane prendra-t-elle en charge les retraites des travailleurs qui ont travaillé et cotisé en Catalogne mais qui sont repartis qui en Andalousie, qui en Castille, qui en Estrémadure pour jouir de leur retraite? - sont bien trop complexes pour être mises sur le devant de la scène. La mise en place, ne serait-ce que des conditions d’une négociation pour arriver à un accord d’indépendance, buterait immanquablement sur la technicité de toutes ces questions. Un rappel suffira à le comprendre: depuis 2012, la Generalitat de Catalogne n’a plus accès aux marchés financiers. Elle se finance par l’intermédiaire de Madrid car la signature de l’État espagnol jouit de la confiance des marchés… pas celle de la Catalogne. Un État, un embryon d’État catalan, n’aurait pas les moyens financiers de se construire: et s’il est facile de faire rêver en mobilisant les sentiments et les symboles, sera-t-il facile de demander aux Catalans plus d’impôts, plus de sacrifices pour construire leur État?

Actuellement, le rêve indépendantiste est gratuit. Dès lors qu’il s’accompagnera d’une facture, il virera au cauchemar… en Catalogne et pour les Catalans eux-mêmes.

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