Collège: pourquoi Nicolas Sarkozy déclare la guerre scolaire à Najat Vallaud-Belkacem Par Bruno Roger-Petit

Nicolas Sarkozy et l’UMP sont en passe de déclencher une nouvelle guerre scolaire en attaquant la controversée réforme des collèges de Najat Vallaud-Belkacem. Avec les intellectuels de gauche pour alliés?

Et c’est reparti comme en 1984. La réforme du collège, devenue objet politique, risque de déboucher sur une nouvelle guerre scolaire, déclenchée par Nicolas Sarkozy et l’UMP sur fond d’identité malheureuse. La maladresse ahurissante et le mépris ostensible de la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, envers les critiques suscitées par l’atterrant projet préparé par le Conseil supérieur des programmes vont coûter cher à la gauche au pouvoir. La ministre a offert à la droite l’occasion d’ouvrir un nouveau front de guerre culturelle, terrain où elle excelle à mener combat.

Nicolas Sarkozy n’a pas mis longtemps à comprendre que les erreurs accumulées de Najat Vallaud-Belkacem, en quelques jours, avait ouvert une nouvelle brèche dans la coque gouvernementale, déjà bien entamée question rapport à l’état réel de l’opinion française.
Une erreur d’analyse

Najat Vallaud-Belkacem a commis une erreur d’analyse majeure. Elle persiste à croire que seule la droite, crispée sur une vision de l’école élitiste, bourgeoise et reproductrice des inégalités sociales, combat sa réforme des programmes du collège. Elle se berce de l’illusion que la droite est encore perçue par l’ensemble des Français comme l’avocate d’un enseignement d’élite réservée à une élite de droite, protégée par la droite, élevée par la droite.

Najat Vallaud-Belkacem n’a pas intégré, par exemple, que chacun avait deviné ce que cachait l’obligation d’enseigner l’histoire de l’Islam, corollaire de la non-obligation d’enseigner la civilisation chrétienne médiévale ou l’apport de la philosophie des Lumières : offrir un alibi à certains enseignants, dans certains quartiers, de ne plus heurter des sensibilités communautaires, au nom de "l’intérêt des élèves". En clair, un renoncement au caractère émancipateur de l’école publique, legs de Ferry et de Jaurès, école censée justement offrir à chaque enfant les moyens de se former en citoyen, et de se désaliéner de son milieu culturel d’origine par le savoir et la connaissance.

Nicolas Sarkozy a vu cette faiblesse. Il a compris que la ministre campait sur une position minoritaire dans la France d’aujourd’hui. Et surtout, il a saisi qu’une grande partie de la gauche intellectuelle, la plus influente, ne défendrait pas la vision de l’école défendue par la ministre et le Conseil supérieur des programmes. D’où le déclenchement d’une offensive d’envergure, portée par un représentant réputé sage et modéré : Bruno Le Maire.
Une faute politique majeure

Oui, Najat Vallaud-Belkacem a commis une faute politique majeure en traitant par le mépris, "les pseudo-intellectuels" qui s’opposaient à sa réforme du collège. Parce que ces "pseudos intellectuels" sont tous issus de cette partie de la gauche qui ne veut pas d’une école de la République dénaturée dans ses fondements.

"Pseudo-intellectuel", Pierre Nora, qui voit en cette réforme "la marque de l’époque: une forme de culpabilité nationale qui fait la part belle à l’Islam, aux traites négrières, à l’esclavage et qui tend à réinterpréter l’ensemble du développement de l’Occident et de la France à travers le prisme du colonialisme et de ses crimes. Faire de l’humanisme et des Lumières un thème facultatif, alors qu’il est central, est à cet égard très significatif" ?

"Pseudo-intellectuel", Jacques Julliard, qui dit que la présentation de cette réforme, par le recours à une novlangue digne des Précieuses ridicules, sert "à camoufler le naufrage actuel de l’école derrière un pédagogisme fait de prétention et de cuistrerie" ?

"Pseudo-intellectuel", Mazarine Pingeot, qui a enseigné dans des quartiers réputés difficiles et qui, constatant les renoncements de la ministre dit : "L’autorité, la discipline et l’exigence doivent être des valeurs de gauche, celle d’un humanisme républicain, qui met au cœur de ses réformes éducatives le respect de ’l’élève’, en tant qu’élève, et non en tant que noir, blanc, arabe, musulman, juif, catholique, bouddhiste, et que sais-je. C’est ce qu’on appelle l’égalité" ?

"Pseudo-intellectuel", Régis Debray, qui dit que "La civilisation, ce n’est pas le Nutella, c’est l’effort", et rappelle les fondamentaux de l’Ecole, "l’autorité du maître" la "hiérarchie", "fondée sur le travail et sur l’effort qui sont plutôt des valeurs de gauche" ?
La ministre a perdu sur deux terrains

En traitant avec autant de légèreté que de désinvolture ces grandes voix de la gauche intellectuelle, littéraire et politique, Najat Vallaud-Belkacem a tué sa propre réforme. La ministre a perdu sur deux terrains : l’opinion et la gauche.

L’opinion est désormais persuadée que sa réforme du collège est un renoncement au savoir et à la connaissance, dictée par des lobbies communautaristes et pédagogistes. Najat Vallaud-Belkacem ne voit pas que ceux-là même qu’elle prétend défendre à travers sa réforme, ne veulent pas d’une école au rabais, où tout est nivelé par le bas. Quand bien même les enfants des classes populaires ne finiront pas tous en classe de latin-grec au lycée Henri IV, à Paris, leurs parents sont heureux de les envoyer dans une école où cela existe, parce qu’ils ont le sentiment que c’est une école d’excellence, et pas une école au rabais.

Une partie de la gauche se range désormais aux côtés de cette opinion désormais vent debout contre la réforme. Et aux intellectuels se joignent désormais des socialistes encore lucides et républicains. Ségolène Royal ou Julien Dray, parmi les derniers à être attentifs au mouvement de l’opinion, avertissent déjà des dangers. François Hollande et Manuel Valls, tout à la contemplation des sondages trompeurs de Najat les entendront-ils ? A cause de la ministre de l’Education nationale, la gauche est entrée dans une zone de turbulence politique où les éléments de langage bricolés par de jeunes conseillers de la ministre ne suffiront plus à endiguer la vague qui se lève.
L’habileté politique de Sarkozy

On en revient à l’habileté politique de Nicolas Sarkozy. Qui a vu que l’opinion avait déjà tranché contre la réforme. Qui a compris qu’une partie de la gauche ne défendrait pas une ministre qui la méprise. Qui va instrumentaliser cette situation à son profit. Qui sera d’ici peu capable, au cas où Najat Vallaud-Belkacem persiste dans son entêtement, de mobiliser des millions de Français dans la rue d’ici quelques semaines. Des Français de droite et de gauche.

Le danger est là : par la faute de Najat Vallaud-Belkacem et de sa réforme des collèges, une partie de la gauche est prête à quitter la gauche. Là réside l’enjeu de cette nouvelle guerre scolaire que tente d’initier Nicolas Sarkozy. Ce dernier se comporte comme s’il avait tiré les conclusions de la lecture des propos de Jacques Julliard dans Marianne : "si je devais me convaincre que la gauche est, fût-ce à son corps défendant, l’agent de la marginalisation de notre littérature dans la France moderne, je n’hésiterais pas une seconde: ce n’est pas avec la littérature, ma patrie quotidienne, que je romprais: ce serait avec la gauche". Si cela devait advenir, gageons que Julliard ne serait pas le seul à rompre.

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