Vers une École cafétéria ? Claude Bourrinet

Les « débats d’idées » dans la société d’opinion ne sont souvent que des leurres destinés à légitimer le système.

Les « débats d’idées » dans la société d’opinion ne sont souvent que des leurres destinés à légitimer le système. Les groupes d’intérêt continuent leur petit bonhomme de chemin, et pour peu qu’ils soient au pouvoir, ils écrasent toute opposition du poids des institutions, des médias aux ordres et de la propagande officielle.

L’École, point névralgique de la société puisqu’elle en coagule tous les problèmes, est un parfait exemple de ce dialogue de sourds. Les pédagocrates, Diafoirus de l’enseignement « égalitaire » et « ouvert », imposent depuis trente ou quarante ans leur idéologie et leurs gadgets grotesques, et rien ne les fait douter, surtout pas l’échec de leur politique. Et, comme de mauvais élèves uniquement doués pour répéter, sans prendre de distance, une leçon mal digérée, ils nous assènent leurs truismes éculés, leurs théories à la Bourdieu, leur démagogie suintante de bonté et de présomption (la « réussite pour tous » !) pour faire oublier, à l’aide de ce bruit de fond, la vacuité de leurs propositions mortifères.

La Finlande vient de livrer le secret à peine dissimulé par le petit personnel de l’OCDE et de Bruxelles. On va y supprimer l’enseignement disciplinaire, l’approche et l’étude autonomes de matières comme l’histoire-géographie, les mathématiques, etc., pour adopter une démarche « transversale » et utilitaire. Il s’agit, en effet, de préparer à « la vie active ». Les élèves pourront, par exemple, en groupe, s’attaquer à la gestion communicationnelle dans l’espace d’une cafétéria, en prenant en considération les « compétences » requises pour mener à terme un tel projet.

Inutile de rappeler combien utile est le travail rationnel et méthodologique attaché à un secteur délimité de la pensée. Non seulement des capacités cognitives intrinsèques sont mises à contribution, exigeant rigueur, objectivité, intégrité (toutes valeurs européennes, depuis les Grecs), mais on ne peut comprendre le monde qu’en utilisant les concepts qui sont le produit d’un tel approfondissement. Au lieu de quoi, on prêche une « adaptation » au monde de l’entreprise, à la société du XXIe siècle, l’arrimage au présent mirifique étant désormais l’alpha et l’oméga de la démonstration.

En admettant, pour autant, que les individus ne soient tous aptes à mener un raisonnement solide, pourquoi alors s’en prendre à l’« élite », comme on le voit de manière spasmodique ? Ce beau mot, assurément, correspond à un besoin de toute société. Mais toute société a l’« élite » qu’elle mérite. En sacrifiant cyniquement celle dont la valeur était fondée sur le savoir, la rigueur intellectuelle, le mérite, le sens du travail à longue portée, la culture d’un sacrifice positif, on laisse la place à une oligarchie inculte, matérialiste, manipulatrice, malhonnête, débrouillarde, ennemie haineuse de toute beauté gratuite, de toute réalisation humaine centrée sur la « bonne vie ».

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