L’enseignement des lettres au royaume de Trissotin, par Pierre Mari

Extrait.

"Qu’on m’entende bien : il ne s’agit pas de tirer prétexte de la faiblesse des élèves et de se contenter d’étudier avec eux des chansons de Boris Vian et des textes de slam. Mais un niveau d’exigence déplacé, fondé sur le déni du réel, ne vaut pas mieux qu’une démission : il en est même l’envers fallacieux, le faux nez volontariste. Qui peut croire sérieusement que des adolescents de dix-sept ans aient les moyens d’affronter les exercices sophistiquées qu’on leur concocte, quand il manque à la plupart d’entre eux les soubassements fondamentaux (maniement de la langue, articulation de la pensée, repères culturels et historiques) sans lesquels toute cette construction ambitieuse est vouée à s’effondrer piteusement ? Qui peut prétendre qu’il y a le moindre sens à interroger un lycéen sur le statut du narrateur dans un texte romanesque, quand celui-ci ne maîtrise pas la différence entre indicatif, subjonctif et conditionnel ? Qui ira raisonnablement soutenir qu’un esprit que la grammaire élémentaire de la phrase n’a jamais structuré, ni même effleuré, est capable d’une réflexion de haut vol sur la logique du discours ? Et qui aura l’audace de nier qu’un nombre croissant d’adolescents arrivent au lycée dans une situation d’étrangeté à l’égard de leur propre langue qui fait d’eux des immigrés de l’intérieur ? Autant de questions qu’il faut marteler si l’on veut ouvrir ne serait-ce qu’une petite brèche dans la chape suffocante du déni".


Note perso : je partage évidemment cet avis. Merci à J-L. G. de me l’avoir transmis.

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