Pioz, la ville espagnole qui aurait besoin de 7 058 ans pour solder sa dette LE MONDE | 01.10.2012

(actualisé le )

2 juin 2012. La Banque d’Espagne a révélé, le 31 mai, que 97 milliards d’euros de capitaux avaient été retirés du pays au premier trimestre. | le monde

Les treize lotissements, avec leurs maisons mitoyennes en brique, sont à moitié vides et leurs rues désertes. Le château du XVe siècle, en ruine, ne se visite pas. La bibliothèque n’accueille le public qu’entre 16 et 20 heures. La petite piscine en plein air, qui n’ouvre que l’été, a légué à la mairie 2 millions d’euros de dettes.
Le centre de santé, ouvert seulement le matin, 560 000 euros de plus. Le collège, encore 220 000 euros, et l’éclairage public, 600 000 euros. Mais ce n’est rien à côté de la station d’épuration des eaux, prévue pour une population de 40 000 habitants, qui ne fonctionne pas car la mairie a cessé de payer : sa dette s’élève à 5,5 millions d’euros.

Bienvenue à Pioz, commune de 3 300 habitants située à 60 km au nord-est de Madrid. Une ville déprimée comme tant d’autres en Espagne, si ce n’est qu’elle passe pour être la plus endettée du pays.

En mai, le secrétaire d’Etat aux administrations publiques, Antonio Beteta, a révélé qu’une commune de la province de Guadalajara, sans en mentionner le nom, aurait besoin de sept mille cinquante huit ans pour solder sa dette.

FOLIE DES GRANDEURS DES ÉDILES LOCAUX

Saisissant l’occasion de critiquer la gestion de l’équipe socialiste antérieure, Amelia Rodriguez, élue un an plus tôt maire de Pioz pour le Parti populaire (PP), avait revendiqué le titre. A la croire, la dette de la municipalité oscillerait entre 16 et 20 millions d’euros, pour un budget annuel de 1,5 million.

Pioz est devenue un nouveau symbole de l’échec du modèle sur lequel s’est bâti le "miracle économique espagnol", de la folie des grandeurs qui a saisi des édiles locaux, régionaux et nationaux, de ce boom de la construction qui a mené le pays à la ruine, et des crédits faciles aux promoteurs qui ont conduit plusieurs banques à la faillite.

Au début des années 2000, la commune n’était qu’un petit village de 600 âmes. Mais son maire, le socialiste Emilio Rincon, rêvait d’en faire une grande cité-dortoir de 25 000 habitants pour les Madrilènes.

Au passage, cela lui aurait permis d’engranger des impôts sur la construction et d’importantes taxes foncières, principales sources des revenus municipaux. Avec la crise, le réveil s’est avéré brutal et les investissements ruineux.

LE REGARD FUYANT ET LE PAS PRESSÉ

Dans le lotissement de Los Charquillos, Maria (qui souhaite rester anonyme), Madrilène passant ici ses week-ends, traverse une rue déserte. "Cela fait sept ans que nous avons acheté, raconte-t-elle, le regard fuyant et le pas pressé. On nous avait dit qu’un grand centre commercial allait ouvrir et qu’une nouvelle voie rapide permettrait d’éviter de passer par les petits villages. Mais rien de tout cela n’a été fait et, aujourd’hui, notre maison vaut la moitié de ce que nous avons payé..."

Non loin, à l’entrée du lotissement fantôme de Valcastillo, où les murs décrépis s’émiettent, une pancarte indique en grandes lettres le prix des maisons : "Trois chambres, à partir de 95 000 euros, Financement à 100 %."

C’est le "Groupe Caixa Catalunya" qui propose une telle opportunité, cette caisse d’épargne qui a donné naissance à l’une des quatre banques nationalisées par le gouvernement espagnol pour éviter leur faillite. Selon l’audit indépendant rendu public vendredi 28 septembre, elle aurait besoin de 10,8 milliards d’euros pour assainir des comptes minés par son exposition à l’immobilier spéculatif.

Au sortir du lotissement, l’entrée dans le parc de la Galiana se fait par un petit portique pompeux orné de lettres gravées dans le bois. Mais le parc n’est qu’une bande de 8 mètres de large et 50 mètres de long d’herbe sèche et de sable gris, entrecoupée d’une large fontaine sans eau, entourée d’un grillage en fer et longée par un chemin de terre parsemé de détritus.

"OÙ EST PASSÉ L’ARGENT ?"

Trois enfants jouent autour d’un toboggan. Au loin, sur une colline, les deux cuves en béton de la station d’épuration.

Tout ou presque à Pioz distille un parfum d’inachevé. "Où est passé l’argent ? demande une jeune femme du village qui se promène avec son fils autour de l’église médiévale. La piscine n’ouvre que trois mois par an, les eaux usées continuent de se déverser dans le ruisseau. Le village n’a rien qui justifie sa dette."

Pour que les responsables rendent des comptes, le PP a déposé plusieurs plaintes contre l’ancienne équipe municipale pour "malversation de fonds publics, forfaiture et falsification des documents".

Mais, en juillet, à la faveur d’une motion de censure contre Mme Rodriguez, votée grâce à une alliance avec des conseillers municipaux dissidents, le Parti socialiste est revenu au pouvoir, après un an d’alternance. "La motion de censure répond à une tentative de cacher" ce qu’a fait l’ancienne équipe, a dénoncé Mme Rodriguez.

Dans le bar El Albero, Rafael Castilla se veut pragmatique : "J’ai des dettes, la mairie a des dettes. En Espagne, nous avons tous vécu d’une manière fictive."

Sandrine Morel

Manifestations contre l’austérité à Madrid, Lisbonne et Bruxelles

La colère monte en Europe contre l’austérité. A Madrid, des milliers de manifestants se sont rassemblés, samedi 29 septembre, aux cris de "démission", dénonçant les nouvelles coupes budgétaires imposées et réclamant le départ du gouvernement de droite de Mariano Rajoy. "Ils volent, ils frappent, ils ne nous représentent pas", scandaient les manifestants.

Le même jour, des dizaines de milliers de Portugais se rassemblaient à Lisbonne "contre le vol des salaires et des pensions de retraite", à l’appel des syndicats et des réseaux sociaux. Le lendemain, environ 1500 personnes, selon la police, manifestaient à Bruxelles, réclamant "des choix politiques plus justes" dans les mesures d’austérité menées dans le pays.

http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/10/01/pioz-la-ville-espagnol-qui-aurait-besoin-de-7-058ans-pour-solder-sa-dette_1768217_3214.html