Le Point.fr - Publié le 03/02/2012

3 février 1536 : Buenos Aires est fondée par un conquistador syphilitique

Après la mort de Pedro Mendoza en 1537, la colonie est abandonnée par ses habitants. Il faudra attendre quarante ans pour la refondation de la ville.

Après plusieurs semaines de navigation, l’armada de treize navires commandée par Pedro Mendoza pénètre dans l’embouchure du río de la Plata. Le 3 janvier 1536, (d’autres sources citent le 2 janvier), le conquistador aborde sur la rive ouest du fleuve pour y ériger un fort qu’il baptise "Nuestra Señora Santa María del Buen Ayre", la future Buenos Aires. N’imaginez pas l’Alambra et ses dorures. C’est un misérable cloaque constitué de quelques cabanes vite érigées, protégées par un mur en terre. C’est bien loin du paradis imaginé par les colons espagnols. Où sont les richesses promises ? Pendant qu’ils s’installent tant bien que mal, les natifs de ce territoire appelé Querandies accourent assister au spectacle de ces étrangers. Ils sont blancs comme des cadavres, poilus comme des singes et enrobés de chiffons des pieds à la tête. Certains même se déplacent dans des boîtes de conserve. Enfin, c’est ce qu’ils auraient pu se dire si Appert était né trois siècles plus tôt... Bref, les Indiens hésitent entre grande rigolade et respect. Malgré leurs sales gueules, ces êtres débarqués dans d’immenses pirogues pourraient être des dieux, non ? En tout cas, ils ont l’air d’avoir faim et de ne pas trop savoir se débrouiller à la chasse. Aussi, aimables et généreux, les "sauvages" commencent-ils à alimenter la colonie en gibier.

Voilà qui rend diablement service à Pedro le conquistador. Quelques mots sur celui-ci. C’est un fier Andalou de la ville de Cadix. Désargenté comme beaucoup de nobles espagnols de l’époque, il avait entendu parler des exploits de Cortés et de Pizarro, ce qui lui a donné envie d’avoir sa part du gâteau. Alors, en 1529, bien qu’affichant déjà l’âge vénérable de 42 ans, il va trouver Charles Quint pour lui demander un commandement au pays de l’Eldorado. Mais celui-ci a trop à faire avec ce satané François 1er pour écouter la requête. Heureusement, cet aspirant conquistador peut compter sur l’obstination de sa petite maman. Durant cinq ans, la brave duègne fait le siège du roi pour vanter les mérites de son fils, jusqu’à ce qu’il craque. Charles Quint remet à Mendoza une lettre de mission royale le faisant gouverneur, capitaine général et chef de la justice d’un tout nouveau territoire baptisé la Nouvelle Andalousie, qui ressemble à une tranche de pastèque reliant l’Atlantique au Pacifique. Il est chargé d’établir une colonie de mille âmes à l’embouchure du río de la Plata.

Fin 1535, Mendoza quitte enfin l’Espagne avec treize navires transportant deux mille hommes. Son enthousiasme est d’autant plus vif que le roi l’autorise à conserver la moitié des trésors des chefs indiens tués et les 9/10es de leurs rançons. Autant dire qu’il ne part pas avec l’intention de jouer au rami avec les "sauvages" du pays. L’expédition débute dans la confusion. Une tempête disperse son escadre, puis son principal lieutenant est assassiné, probablement sur son ordre, car il le soupçonne de tramer une trahison. Pour ne rien arranger, Mendoza est rongé par la syphilis, il tient à peine debout. Ce qui l’oblige, la plupart du temps, à diriger l’expédition depuis son lit.

Quelques semaines après le débarquement, voilà que ces maudits sauvages prétextent des travaux de couture urgents les attendant à la maison pour déserter et ne plus nourrir la colonie. Mendoza est fou de rage. Hijo de la Puta Madre ! C’est ainsi qu’on vous récompense d’apporter la civilisation, la sainte religion catholique, les manières raffinées ? Il charge son frère de courir sus à ces sauvages pour les ramener manu militari. Quelques mousquets auront raison de ces païens, pense-t-il. La poursuite s’engage, elle est parsemée de nombreuses escarmouches qui ôtent la vie à des centaines d’Indiens et à une trentaine d’Espagnols, dont le frère de Mendoza. Mais impossible de ramener les Naturels à la raison, ce qui place le fort dans une situation délicate.

Réduits à la famine, les colons vivent un cauchemar. Bientôt, ils doivent se nourrir de rats, de souris, de lézards, de racines et même de viande humaine. À chaque pluie, les cahutes nagent dans une mer de boue tandis que la muraille se désagrège. Les Indiens en profitent pour multiplier les assauts contre le fort. À plusieurs reprises, ils parviennent à mettre le feu aux maisons. Depuis son lit, le syphilitique Mendoza est incapable de faire face à la situation. Son principal officier l’abandonne avec une partie des colons pour partir à la recherche d’un lieu plus accueillant. Remontant le río Paraguay, ils fondent la Muy Noble y Leal Ciudad de Nuestra Señora María de la Asunción, la future capitale du Paraguay

Il ne reste qu’une solution à Mendoza pour éviter une totale déconfiture : partir chercher de l’aide en Espagne. En 1537, il embarque sur un navire, promettant aux colons qui gardent le fort de revenir bientôt avec du renfort. Mais après quelques jours en mer, la syphilis finit par avoir raison de lui. Les colons l’attendent, l’attendent, puis finissent par jeter l’éponge. Ils abandonnent le fort en 1541 pour rallier à leur tour Asunción. La première Buenos Aires n’a donc vécu que cinq ans. Personne n’aurait plus jamais entendu parler d’elle si un autre conquistador n’était pas venu, quarante ans plus tard, faire une nouvelle tentative coloniale, couronnée de succès, elle. Le 11 juin 1580, Juan de Garay érige un nouveau fort qu’il baptise Santisima Trinidad y Puerto de Santa María del Buen Ayre. Cette fois-ci, la greffe prend. Quatre siècles plus tard, Buenos Aires et sa banlieue comptent 12 millions d’habitants et presque plus d’Indiens...

Buenos Aires

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