Les régions, au cœur de la dette espagnole Le MOnde | 18.11.11

Les dix-sept communautés autonomes ibériques, Catalogne en tête, tardent à réduire leurs déficits.AFP/ALEXANDER KLEIN
Le sujet est sur le haut de la pile des dossiers que devra traiter le premier ministre espagnol qui sortira des urnes après les élections législatives du 20 novembre, très probablement Mariano Rajoy, du Parti populaire (PP, droite) : comment mettre au pas les finances à la dérive des dix-sept régions autonomes espagnoles ?

Un problème épineux, mêlant finance et politique, à l’heure où les marchés attaquent la dette espagnole. Pour emprunter à dix ans, Madrid doit désormais offrir un taux - record - de 6,8 % (contre 1,8 % en Allemagne).

Pour les investisseurs, cela ne fait pas de doute : malgré ses engagements, le pays ne parviendra pas à réduire son déficit public à 6 % du produit intérieur brut (PIB) en 2011 après 9,2 % en 2010. En cause : les dix-sept communautés autonomes espagnoles, en charge d’une partie des dépenses publiques comme l’éducation ou la santé. Fin juin, elles cumulaient une dette de 133 milliards d’euros (12,5 % du PIB), sur un total de 702 milliards (65 % du PIB).

Ces régions "délinquantes", comme les appelle un analyste feront déraper le déficit global entre 6,5 % et 7 % du PIB. Au regard des efforts déjà accomplis par le pays, la glissade n’est pas catastrophique. Mais, dans un environnement financier explosif, l’Espagne n’a pas le droit à l’erreur. Et, aux yeux des marchés, les régions échappent au contrôle de l’Etat.

Sommées par Madrid de ne pas dépasser un déficit de 1,3 % du PIB cette année, les dix-sept communautés autonomes, ont déjà à mi-année, atteint voire dépassé leur cible avec un déficit moyen cumulé à 1,2 % du PIB. Sur le banc des plus mauvais élèves : Castille-la Manche, Murcie, les Baléares, Valence et la Catalogne, qui représentent ensemble 37 % de l’économie espagnole. Selon l’agence de notation Standard & Poor’s (S & P), ces cinq régions devraient afficher un déficit de 1,7 % cette année et jusqu’à 2,7 % et même 4 % du PIB si le gouvernement réduit les transferts fiscaux en leur faveur.

Pendant les années de boom économique, les régions ont vu leurs recettes, notamment les taxes sur le secteur de la construction, s’envoler. Au premier trimestre 2007, le pays recensait 760 000 mises en chantier en rythme annuel. Autant que la France, l’Italie et l’Allemagne réunies !

Loin d’imaginer que la situation était intenable, les régions ont utilisé la manne pour mettre en place "un système social parfois digne de celui des pays nordiques", accuse Jesus Gonzalez Mateos, économiste. Elles ont ensuite tardé à revenir en arrière, persuadées qu’en cas d’accident, Madrid viendrait à leur secours.

"Dans le reste de l’Europe, les collectivités locales ont gelé les dépenses ou pratiqué des coupes budgétaires, parfois importantes. En Espagne, les mesures ont été à la fois insuffisantes et tardives", observe Valérie Montmaur, responsable de la notation de collectivités locales chez S & P.

Aujourd’hui les investisseurs s’interrogent sur la façon dont Madrid peut inverser la tendance. Le pays, qui ne ressemble ni à un Etat jacobin centralisé comme la France ni à une fédération à l’allemande, dispose d’un cadre institutionnel hybride, donnant des droits aux régions mais pas assez de devoirs. "Elles ne font pas l’objet de sanction en cas de dérapage", souligne Mme Montmaur.

Recentraliser les pouvoirs

Une fois au pouvoir, le PP pourrait bouleverser ce système. Selon M. Gonzalez Mateos, il n’hésitera pas et modifiera la constitution afin de recentraliser les pouvoirs à Madrid. La plupart des régions, dont l’autorité a basculé dans le camp PP aux dernières élections, ne devraient pas lui opposer de résistance féroce. Mais comment gérer le cas de l’Andalousie, aujourd’hui aux mains du Parti socialiste ? Et que dire de celui de la Catalogne, historiquement jalouse de son indépendance ?

Barcelone, gouvernée par le parti nationaliste CiU, promet de ne pas se laisser faire. Selon un sondage réalisé par l’organisme el Centro de Estudios de Opinion cité par El Pais, jeudi 17 novembre, 45,4 % des Catalans voteraient "oui" en cas de référendum sur l’indépendance de la région... La Catalogne joue déjà les dissidentes en refusant de se soumettre à l’orthodoxie fiscale imposée par Madrid. Il y a quelques mois, elle a indiqué qu’elle réduirait son déficit à 2,7 % du PIB cette année après 3,9 % en 2010 mais pas à 1,3 %, notent les experts de Deutsche Bank. L’objectif est intenable selon la Catalogne.

Autrement dit, le dossier des régions pourrait donner des sueurs froides au marché et au prochain premier ministre. A moins que ce dernier n’opte pour le pragmatisme, reprenant du pouvoir à certaines communautés autonomes en laissant plus de marge de manoeuvre à d’autres comme la Catalogne. Barcelone en rêve, caressant l’idée d’obtenir plus de responsabilités dans la gestion de ses finances, à l’image du Pays basque.

Le nouveau gouvernement osera-t-il lâcher du lest sur un sujet aussi crucial pour les finances publiques, dans une région stratégique pour l’économie espagnole ? Réponse dans quelques mois.

Claire Gatinois

http://www.lemonde.fr/europe/article/2011/11/18/les-regions-au-coeur-de-la-dette-espagnole_1606008_3214.html#ens_id=1271383