Ferran Adria

"El Bulli" : portrait sous vide du roi de la cuisine moléculaire Critique | pour Le Monde.fr | 11.10.11 |

Ce documentaire allemand est consacré à l’un des plus grands et inventifs, mais aussi l’un des plus controversés, cuisiniers contemporains. Il s’agit de Ferran Adria, le chef d’El Bulli, un restaurant situé à Roses en Catalogne, dont la notoriété a largement dépassé le cercle des gastronomes pour devenir une sorte d’attraction planétaire (2 millions de demandes de réservations pour huit mille places disponibles par saison, réservées en un jour un an à l’avance).

Fondé en 1961 et classé trois étoiles en 1997, le restaurant est sous la férule d’Adria depuis 1987. L’engouement qui le célèbre est lié à sa fameuse cuisine moléculaire, qui transfigure avec des procédés chimiques sophistiqués, le goût, la matière et la texture des aliments, délivrés en un rituel ésotérique durant les six mois que dure la saison d’ouverture du restaurant.

Le parti pris du film, fort de l’autorisation exceptionnelle dont il procède, consiste en une plongée au long cours dans les cuisines du maître durant les six mois que ce dernier consacre au renouvellement secret de sa carte et à la recherche de nouvelles stupeurs gustatives.

Dépourvu du moindre commentaire, et plus largement de la moindre volonté explicative, ce parti-pris s’avère risqué. Il jette le spectateur, de manière péremptoire et rapidement lassante, dans un spectacle étrange, largement incompréhensible. Des hommes en blouses blanches s’affairent dans ce qui ressemble davantage à un laboratoire qu’à une cuisine, photographient les plats, expérimentent les formules, dialoguent dans un langage sibyllin au sujet de variations qui échappent au commun des mortels, entretiennent enfin une véritable obsession pour la gélatine et la mise sous vide des aliments.

Tout cela sous la férule d’un maestro dont le verdict est attendu avec une crainte qui fait parfois peine à voir. Ce fétichisme opératoire n’a a priori pas grand-chose à faire avec ce qu’on s’imagine être le plaisir de la chère et l’idée de commensalité. Il donne plutôt à voir un commando d’esthètes stressés, qui portent leur culte de l’innovation et de la beauté à un degré pénible.

Le film aurait enfin gagné à sustenter l’appétit de connaissance de son spectateur plutôt qu’à le placer dans la position de principe d’un zélote ébloui par sa divinité. Qui est Ferran Adria ? Comment en est-il venu à révolutionner son métier ? Quelle pensée de la cuisine y associe-t-il ? Pourquoi de très grands chefs ont-ils déclenché une polémique contre ses procédés ? Pourquoi, enfin, vient-il de fermer son restaurant pour deux ans ? C’est peu de dire que le film, qui ne répond à aucune de ces questions, nous laisse sur notre faim.

LA BANDE-ANNONCE

Sous-titrage en français :
http://www.lemonde.fr/cinema/article/2011/10/11/el-bulli-portrait-sous-vide-du-roi-de-la-cuisine-moleculaire_1585328_3476.html