LES ANDES CHERCHENT LEUR AXE POLITIQUE La Bolivie s’éloigne du peuple; le Pérou pourrait s’en rapprocher

Michel Lhomme le: 29/04/2011

Evo Morales semble lâché par les syndicats de travailleurs boliviens qui l’amenèrent au pouvoir. En effet, le Président « socialo révolutionnaire » se retrouve sérieusement contesté dans ses propres rangs par les paysans et les mineurs. En fait, les manifestations durent depuis plus de dix jours. Elles ont été très peu relayées dans la presse, occupée par les atermoiements des guerres atlantistes et néocoloniales : Libye, Côte d’Ivoire, Afghanistan.

Depuis les 14 et 15 avril, il semblerait même que l’on soit monté d’un cran dans la violence populaire. Jeudi dernier, répondant à l’appel des syndicats et des organisations citoyennes, les Boliviens sont descendus dans les rues de plusieurs villes du pays, pour protester contre la brutale hausse du prix des carburants. La suppression des subventions, le dimanche précédent, a entraîné une hausse du prix de l’essence et du gazole, pouvant aller jusqu’à +83%, et a suscité la colère des habitants de ce pays, pourtant très riche en gaz naturel.

Morales perd la confiance des indigènes

Les manifestations de la fin de la semaine dernière se sont majoritairement déroulées dans le calme mais des gares de péage de la principale autoroute reliant El Alto à La Paz ont été incendiées. Les manifestants ont jeté des pierres sur les forces de l’ordre qui ont riposté en faisant usage de gaz lacrymogènes. Les chauffeurs routiers et les conducteurs de bus ont bloqué les routes et les transports publics étaient paralysés à La Paz, la capitale administrative du pays.

Chavez, Castro et Morales

Jusqu’alors, le président bolivien, Evo Morales, avait bénéficié d’une grande popularité auprès de la communauté indigène, majoritaire dans le pays. Depuis quelques mois, cette popularité s’effrite. La hausse du prix des carburants a provoqué l’ire de sa base politique et les syndicats lui ont demandé de revenir sur cette mesure. Vendredi, les manifestations ont donc commencé à prendre une tournure politique, plus dangereuse à terme pour le régime bolivien.

Les manifestants n’ont pas seulement protesté contre les augmentations des carburants car, depuis des semaines, ils ne cessent aussi de réclamer de fortes augmentations de salaire. Vendredi, ce sont les hauteurs de La Paz, les quartiers périphériques de la capitale, qui ont eu à subir de très violents affrontements avec la police. Actuellement, la plupart des routes du pays sont coupées par des barrages.

La Central Obrera Departamental (COD), principal syndicat bolivien, a réuni plus de 8 000 personnes dans les ruelles pentues de Potosi, à la lumière de petites lampes fabriquées avec une bouteille en plastique et une bougie. Pendant quelques heures, au rythme de slogans anti-Morales, les manifestants ont bloqué tout accès à la ville haute, pour réclamer une augmentation de salaire de 15%. A la fin, ils ont procédé à la mise à feu de poupées à l’effigie de Morales et du Décret Supreme DS 21060, qui porte atteinte au droit des travailleurs à se syndicaliser. Ce décret constitue une véritable trahison « socialiste » de la part du gouvernement « populaire ».

Anti-impérialiste de pacotille ?

Evo Morales, qui a expulsé l’ambassade des Etats-Unis, essaie de se faire passer dans des discours enflammés pour un anti-impérialiste et un « prolétarien ». Mais, dans les faits, il s’appuie sur les militaires, accorde ses faveurs à la police et n’a rien changé sur le fond aux inégalités et à la gestion capitaliste des ressources naturelles du pays. Or, quelles sont ces ressources ?

Ce petit pays enclavé, qui rêve toujours d’une sortie vers la mer (Chili ou Pérou), en regorge: argent, cuivre et gaz naturel mais aussi depuis quelques temps, une céréale très en vogue en France et en Europe dans les rayons bio : la quinoa. Cette céréale, qui possède de hautes valeurs nutritives, pousse sur l’altiplano bolivien. Il y a, aujourd’hui, 70 000 producteurs de quinoa, répartis sur les départements de Potosi, La Paz et Oruro. Les exportations sont passées de 4 800 tonnes en 2005 à 15 000 tonnes en 2010.

Il faut savoir que seulement 5% de cette production est destinée au marché local ; 45% sont exportés dans plus de 20 pays et 50% sont destinés à la contrebande. Entre 2 000 et 3 000 tonnes de quinoa de contrebande passent par deux villes frontalières avec le Pérou, pays qui, ensuite, la revend, à prix fort, à d’autres pays du monde. Mais la Bolivie est aussi assise sur un nouvel eldorado minier : le lithium.

Qui va exploiter le lithium ?

Le lithium est un fameux composant de base pour les batteries des téléphones portables et des micro-ordinateurs. Il est indispensable pour l’industrie électronique, notamment en Corée du Sud. La Bolivie possède 70% des réserves mondiales de lithium. Or, les atermoiements administratifs et idéologiques du gouvernement Morales l’ont rendu incapable d’élaborer une stratégie pour l’extraction, le développement et l’industrialisation du Salar de Uyuni (Lac de sel de 12 000 m² à 3 700m d’altitude regorgeant de lithium).

Les pluies diluviennes de ces derniers temps (le Pérou souffre aussi depuis la semaine dernière, d’importantes inondations) ont paralysé la première phase d’industrialisation promise. La Bolivie n’a aucune idée du coût de production que cela va entraîner. Elle n’a sérieusement rien planifié, alors qu’elle reste l’un des pays les plus inégalitaires de la planète. Comme au Pérou, on y est mort de froid cet hiver.

Pourtant, le gouvernement de Evo Morales a reçu des promesses d’entreprises sud-coréennes, japonaises, chinoises, brésiliennes, iraniennes et vénézuéliennes pour un programme d’industrialisation rapide du lithium. La Bolivie a mis en place la première étape, à travers une entreprise nationale, pour la production de carbonate de lithium. Mais la seconde étape requiert des financements externes énormes pour produire du chlorure de lithium, du lithium métallique et des batteries. La question reste donc posée: à qui appartiendra le lithium bolivien?

Le Pérou doit choisir entre populisme et libéralisme

De l’autre côté de la frontière, au Pérou, la préparation du second tour des élections présidentielles, suscite de fortes inquiétudes dans les milieux financiers et chez les investisseurs étrangers. La Bourse de Lima a clôturé la semaine passée avec une baisse record de -8,8 %. En effet, le résultat du premier tour, caractérisé par une campagne électorale médiocre et sans propositions, a surpris avec l’élimination des candidats du système et en laissant, pour le second tour du 5 juin, deux candidats antithétiques : le populiste et nationaliste Humala et la libérale et autoritaire Keiko Fujimori, fille de l’ex-président ultra-libéral des années 90, Alberto Fujimori, toujours incarcéré pour corruption et atteinte aux droits de l’homme.

Humala, nationaliste révolutionnaire, est la bête noire des Américains et de la « communauté internationale ». Il est le grand vainqueur du premier tour avec 30,9 % des voix, suivi par Keiko Fujimori (23,6 %). Celle-ci commence déjà à recevoir le soutien de tous les candidats du système (comme Castaneda, le maire de la capitale) et les commentateurs pronostiquent sans mesure la victoire de Keiko.

Or, les campagnes reculées, l’Amazonie délaissée et aujourd’hui inondée, le Sud d’Arequipa, toujours non reconstruit après le tremblement de terre de 2007, voteront Humala au second tour. Et l’armée n’est pas du tout indifférente non plus au discours patriotique de Humala qui a, depuis son entrée en politique, largement adouci son discours marxisant, pour se rendre crédible auprès des instances internationales.

Du socialisme à la défense des intérêts américains

La girouette, Alan Garcia, président actuel et ancien ami personnel de François Mitterrand, passé du socialisme à la défense des intérêts américains, a été accusée dans la presse péruvienne d’être incapable d’expliquer ce désastre électoral dont il est jugé, par tous, comme le premier responsable. Alors qu’il bénéficiait d’une croissance économique à deux chiffres, son gouvernement n’a rien changé à Lima dans la répartition des richesses et aucune réforme de fond structurelle n’a été entreprise. Les infrastructures elles-mêmes n’ont pas été rénovées.

Alan garcia : "arrogant, suspect et un égo gigantesque"

De plus, et ce sera déterminant dans le second tour, le gouvernement de Garcia a été maladroit dans sa capacité à régler les situations conflictuelles du pays, manifestant un dédain manifeste concernant les droits des indigènes, un des problèmes fondamentaux du Pérou. La mort tragique de 14 policiers et de 10 indigènes, lors d’une manifestation de 2009 qui prit, à Bagua, une mauvaise tournure, jeta un discrédit définitif dans les provinces sur toute l’action gouvernementale.

Nonobstant, le second tour reste largement ouvert, car la grande question qui se pose est celle de la classe moyenne. Elle ne s’est reconnue et ne se reconnaît dans aucun des deux candidats. Or, cette classe moyenne, qui n’a voté ni Humala, ni Keiko au premier tour, devra se prononcer, puisque le vote au Pérou est obligatoire.

Le nom du futur président péruvien sera donc celui qui réussira à réunir les votes de la classe moyenne, les deux candidats ayant capitalisé les votes des classes les plus pauvres, qu’elles vivent en périphérie des villes ou dans les campagnes. C’est la grande inconnue de ces élections et les médias commencent à diaboliser Humala pour favoriser le vote Keiko. En oubliant que le père de Keiko avait lui-même été un candidat outsider, dont personne ne croyait à l’époque qu’il aurait pu être Président de la République péruvienne durant dix ans !

Peut être du renfort pour l’alliance bolivarienne et anti-nord américaine

Il y a un an, Humala apparaissait en fasciste et putschiste illuminé. Il y a six mois, alors qu’il ne cessait de grimper dans les sondages, on le voyait en trublion de la politique. Et rien ne dit en effet qu’il ne présidera pas cette année les défilés du 28 juillet (fête nationale du Pérou et date de l’investiture présidentielle) !

Or, le modèle de Humala reste Hugo Chavez. Comme son « héros », Humala rêve d’exporter dans les Andes le modèle de la constitution de la révolution bolivarienne (une présidence à vie ?) et le principe des nationalisations. L’élite économique de Lima a peur et place déjà ses avoirs à Miami.

Les « gringos » ont du souci à se faire. A supposer que Humala l’emporte, le Pérou rejoindrait l’Equateur, la Bolivie, le Brésil et le Venezuela dans l’alliance bolivarienne et la critique du modèle démocratique dominant. Décidément, le monde est en action et les peuples se soulèvent… El condor pasa.

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