Le corps de Garcia Lorca porté à jamais disparu

LE MONDE | 25.12.09 | 15h19

Il est mort le poète, mort et enterré, enveloppé du linceul d’un persistant mystère. Fusillé par les franquistes en 1936, aux premiers jours de la guerre civile, puis jeté dans une fosse commune quelque part dans la région de Grenade, Federico Garcia Lorca est plus que jamais porté disparu.

Les recherches pour exhumer la dépouille mortelle, et connaître éventuellement les circonstances de son martyre, ont été officiellement abandonnées vendredi 18 décembre. Un mois et demi de fouilles sur le lieu supposé de son inhumation n’ont permis de mettre au jour "aucun os, aucun vêtement, aucune douille de balle", a annoncé Begonia Alvarez, la "ministre" de la justice du gouvernement autonome d’Andalousie.

Plusieurs témoignages situaient pourtant la fosse avec précision dans un champ d’Alfacar, petite commune à 9 kilomètres de Grenade. C’était tellement évident qu’une stèle y fut érigée dans les années 1980. La commune a même récemment conféré à ce lieu la qualité de "cimetière". On devait y trouver non seulement les restes du grand poète espagnol, mais aussi ceux d’un instituteur, de deux anarchistes, d’un inspecteur des impôts et d’un restaurateur exécutés en même temps que lui par les "nationaux".

Les héritiers du poète étaient contre l’ouverture de la fosse, mais ils n’ont pu s’opposer à la décision des autorités andalouses d’accéder à la requête des autres familles. Après que des scientifiques ont passé au peigne fin près de 300 m2 du parc d’Alfacar, il a fallu se rendre à l’évidence. "Il n’y a jamais eu d’inhumations dans cette zone", a révélé Mme Alvarez, en raison d’une plaque rocheuse affleurant le sol.

Reste à creuser d’autres hypothèses. Ira-t-on par exemple à 400 mètres de là, au lieu-dit Caracolar, fouiller un terrain où, dans les années 1950, le chercheur américain d’origine espagnole Augustin Peñon avait situé la fosse ? Dans un essai récent, Gabriel Pozo indique que le poète a pu être enterré là, mais que sa dépouille mortelle a, par la suite, été transférée dans un lieu inconnu. "Il n’est pas question de parsemer Grenade de trous, a tranché Juan Gallo, commissaire à la mémoire historique d’Andalousie. Les données historiques nous ont conduits au parc d’Alfacar, cela n’aurait pas de sens d’aller ailleurs."

MAUSOLÉE FRANQUISTE

L’échec des recherches fera sans doute remonter à la surface les nombreuses conjectures, voire les légendes, qui, depuis trois quarts de siècle, entourent la fin tragique du poète. La plus farfelue veut qu’il ait survécu au peloton d’exécution ; amnésique et mentalement diminué, il aurait été recueilli dans un couvent jusqu’à sa mort, en 1954.

Pour certains chercheurs, ses restes auraient fait partie de ceux que Franco fit transférer sous le mausolée franquiste de la Valle de los Caidos, près de Madrid. D’autres enfin ont soutenu que le corps de Federico Garcia Lorca a été rapidement déterré et transporté, à la demande de son père, jusqu’à la résidence d’été de la famille : il reposerait encore dans la cour de la maison-musée, sous un noyer planté précisément à l’époque de sa mort.

Cette propriété familiale, la Huerta de San Vicente, fait l’objet d’un court-métrage sorti sur les écrans espagnols le 18 décembre, le jour même de l’abandon des recherches. On y voit deux employés emballer cérémonieusement un tableau représentant Federico Garcia Lorca, puis l’enfermer dans une caisse de déménagement. Pour l’auteur de ce film documentaire, Pere Portabella, "cette séquence revêt une dimension rituelle. C’est comme si on l’avait enfin trouvé et qu’on lui donnait une sépulture".

Jean-Jacques Bozonnet (Madrid, correspondant)
Article paru dans l’édition du 26.12.09

http://www.lemonde.fr/culture/article/2009/12/25/le-corps-de-garcia-lorca-porte-a-jamais-disparu_1284882_3246.html#ens_id=1284947