Le oui "informel" des Catalans à l’indépendance

Le oui "informel" des Catalans à l’indépendance

LE MONDE. Barcelone, envoyé spécial

rès de 200 000 personnes se sont déplacées, dimanche 13 décembre, pour participer aux référendums informels sur l’indépendance organisés dans 166 communes de Catalogne par des plates-formes citoyennes. La participation, approchant les 30 %, est inférieure aux espoirs des organisateurs qui tablaient sur 35 % à 40 %. Le "oui" a, bien sûr, triomphé (94,7 %), du plus petit village pyrénéen, Sant Jaume de Frontanya, où 19 des 21 électeurs ont voté pour l’indépendance, jusqu’à la plus grosse commune, Sant Cugat, près de Barcelone (60 000 électeurs, 25 % de votants, 93 % de "oui").

"Parce que ces dernières années, on nous a mené la vie dure, il y a beaucoup de rancœurs accumulées", expliquait sur le chemin de l’isoloir Ramon Amblas, un informaticien du canton d’Osona, le bastion du catalanisme, où la participation a atteint 41 % (96 % de "oui").

José Luis Rodriguez Zapatero a minimisé "ces initiatives qui ne mènent nulle part". Le gouvernement espagnol est néanmoins préoccupé par ce que révèle le phénomène. La participation dépasse le noyau dur habituel des souverainistes les plus résolus : Esquerra republicana catalana (ERC, gauche), seul parti véritablement séparatiste, obtient rarement plus de 15 % lors des élections.

DOUBLE DÉCEPTION

Pour beaucoup d’observateurs, la montée du sentiment indépendantiste est le fruit d’une double déception, vis-à-vis de Madrid, mais aussi du gouvernement tripartite au pouvoir en Catalogne depuis 2003. L’exécutif régional, composé du Parti socialiste catalan (PSC), d’ERC et des écolo-communistes d’Initiative pour la Catalogne-Verts (ICV), est parcouru de tensions permanentes.

A quelques mois des élections régionales, programmées en octobre 2010, les initiatives citoyennes sur le droit à l’autodétermination, ainsi que les réactions à une possible décision défavorable du Tribunal constitutionnel sur le statut d’autonomie élargie de la Catalogne, pourraient brouiller les cartes.

Convergence et Union (CiU, nationaliste, centre-droit), la coalition libérale qui a dirigé la Catalogne de 1983 à 2003, avec à sa tête Jordi Pujol, est donnée gagnante dans tous les sondages, lorgnant même la majorité absolue. Le parti devra cependant clarifier sa position sur l’indépendance.

Historiquement nationaliste mais dans la fidélité au roi et à la Constitution, CiU voit émerger en son sein un courant ouvertement indépendantiste. "C’est l’objectif de notre génération", affirment les plus jeunes dirigeants du parti. D’où son embarras à l’occasion de ces référendums : elle a partagé les estrades de la campagne pour le "oui" avec les indépendantistes d’ERC, mais son président, Artur Mas, s’est abstenu de toute apparition publique.

"L’INDÉPENDANTISME A OBTENU UNE LÉGITIMITÉ"

ERC a fait au contraire le forcing pour coller à l’initiative de la société civile. "Depuis six ans qu’elle participe au gouvernement, ERC a perdu le monopole de l’indépendantisme, analyse le politologue Josep Ramoneda. Pendant cette période, l’indépendantisme a obtenu une légitimité qu’il n’avait pas. Il est devenu une option possible, qui conditionne l’évolution des partis."

ERC pourrait pâtir de l’apparition de nouvelles formations souverainistes, notamment autour de Joan Laporta, le médiatique président du club de football FC Barcelone, dont l’éventuelle entrée en politique suscite beaucoup d’interrogations.

Le principal perdant d’une radicalisation du catalanisme serait le Parti socialiste catalan (PSC), du président José Montilla. "Succursale" catalane du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), le PSC a choisi d’ignorer l’organisation de ces scrutins, alors qu’il avait bataillé contre le premier référendum, le 13 septembre, dans la commune d’Arenyts de Munt.

Il aura bientôt l’occasion de préciser sa position, puisque les organisateurs des consultations de dimanche ont l’intention de demander au parlement régional l’organisation d’un référendum – officiel celui-ci – pour le 25 avril 2010.

Jean-Jacques Bozonnet
Article paru dans l’édition du 15.12.09

http://www.lemonde.fr/europe/article/2009/12/14/le-oui-informel-des-catalans-a-l-independance_1280127_3214.html