Lutter contre la déception enseignante

"Prof éphémère", ou la grande galère d’une remplaçante en banlieue Des remèdes existent

LE MONDE | 02.12.09 | 15h31

Pas simple de gérer sa classe lorsqu’on est une "prof de passage". Véronique Pot a 29 ans. Elle enseigne le français. C’est sa cinquième année de remplacement. Témoignage de sa dernière mission.

Après la Toussaint, me voilà dans le Val-d’Oise. Lundi, mes élèves de 4e rentrent au compte-gouttes. Certains arrivent par grappes, en se catapultant contre la porte d’entrée de la salle de classe, qui s’ouvre sous le choc. Ils jettent leur sac, changent deux ou trois fois de place. Continuent à parler comme si je n’existais pas. Ne daignent pas sortir feuille, ou stylo. Un élève cherche à rouler une pelle ("embrasser" serait un terme inapproprié) à sa copine du moment, fait semblant d’être étonné que je lui demande des comptes. Un autre petit couple se tripote assidûment sous la table.

Une gueulante. Les élèves s’assoient, mais n’arrêtent pas de s’interpeller. Une élève remarque mon désarroi et sourit à pleines dents "Elle va chialer !" Comme je rétorque vertement, ce n’est pas (encore) la curée.

En sortant, je dois avoir l’air hagard car un élève de la classe me dit : "Vous inquiétez pas, madame, ils sont comme ça avec tout le monde." Un autre a vu que je boitais, et me demande avec bienveillance ce que j’ai. C’est ça qui manque de me faire pleurer! Mardi, le deuxième cours avec eux est à l’avenant. Comme je me plains en salle des profs, on me dit qu’il y a pire ailleurs... Ici, les profs tiennent le coup "en attendant d’avoir des points".

Jeudi et vendredi, je prends un carnet. "Madame, vous êtes sûre vous voulez me mettre un mot ?" Menace à peine voilée, qui sera réitérée le lendemain. Une exclusion de cours est impossible, l’équipe de "vie scolaire" (surveillants et conseiller d’éducation) est débordée, et on me l’a expressément interdit.

Week-end infernal. Leurs tentatives d’intimidation commencent à fonctionner. Je pense à eux, tout le temps. J’essaie d’imaginer des stratagèmes, je refais des cours, en plus simple, toujours plus simple, des leçons"à trous" pour éviter d’avoir à écrire trop au tableau, car leur tourner le dos est souvent source d’agitation, de jet d’objets.

Le lundi suivant, comme j’attends le silence depuis vingt minutes, mon cours leur manque en bruit de fond. Ils sont gênés. "Madame ça s’fait pas, continuez à parler, vous écoutez pas nos conversations !" Alors que je m’avance dans l’allée pour chercher à capter leur attention, R. s’aperçoit que je boite légèrement. "Ouah elle boite, elle s’est fait enculer ou quoi ?"

J’hésite entre découragement et rage. Je lui demande de répéter. S., peut-être pour détourner l’attention, m’accuse d’avoir peur de R., de faire semblant de ne pas entendre ses réflexions. Je file directement dans le bureau de la principale adjointe. Je fais un rapport. Je ne sais pas jusqu’où ils sont capables d’aller. La principale m’assure que la violence physique contre un prof advient seulement quand le prof est méprisant. J’espère que les élèves sont au courant de cette règle... La principale finit sur cette petite touche d’humour édifiante : "Vous savez, un de nos collègues s’est fait tabasser, il a eu une très bonne mutation."

Une semaine jour pour jour après ma rentrée dans cet établissement, j’en appelle au gouvernement. Il faut agir. Il faut des profs, oui, des profs, mais pas n’importe lesquels, et pas dans n’importe quelles conditions.

Propos recueillis par Maryline Baumard

[http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/12/02/prof-ephemere-ou-la-grande-galere-d-une-remplacante-en-banlieue_1274996_3224.html]

Des solutions existent cependant pour ne pas céder au découragement ; qu’on en juge :

Quatorze principes susceptibles de guider l’action

1 - La qualité et l’expertise des informations sensorielles (visuelles, auditives et spatiales) prises par le professeur, avant et dans l’action, orientent la qualité des actions qui suivent.

2 - Plus encore, l’interprétation juste des intentions prêtées par l’enseignant aux élèves sur lesquels les prises d’informations s’exercent est déterminante, pour qu’il mobilise des savoirs d’action allant dans le sens de l’exercice d’une autorité éducative reconnue comme telle par les élèves.

3 - Les capacités de prises d’informations de qualité ne sont pas homogènes selon les enseignants, d’où la nécessité de développer des savoirs qui concernent l’observation des actions des professeurs et des comportements des élèves dans les classes.

4 - La parole professorale est le savoir d’action dominant en relation d’autorité. Dans les situations que nous avons analysées [4], certains types d’interventions s’avèrent particulièrement efficaces : l’appel à la réflexion de l’élève ; le haussement de ton ; la modification du contenu de la communication ; l’inscription des interventions dans une temporalité basée sur l’information des élèves, l’explication, la persuasion, la justification des décisions prises, la réflexion, l’énoncé des buts poursuivis par l’enseignant. Nous y ajoutons la variété des interventions verbales chez un même enseignant ; ou au contraire l’absence d’intervention verbale, la non intervention ; l’attente (l’interruption de l’action), utilisée en particulier lorsqu’un élève transgresseur cherche à mettre en spectacle le conflit.

5 - L’importance du questionnement et du dialogue interne (« se dire, analyser la situation ») démontre l’intensité de l’activité réflexive des enseignants dans l’action.

6 - Les savoirs d’action faisant référence à la dimension statutaire de l’autorité ne sont efficaces qu’accompagnés de savoirs d’action complémentaires. Il s’agit donc bien de penser et « d’agir » ensemble l’asymétrie et la symétrie. La variété des savoirs d’action pour signifier cette référence au statut du professeur est un gage d’efficacité.

7 - Bien moins utilisés comparativement aux interventions verbales, les déplacements sont pourtant très efficaces dans quelques situations : déplacement avec l’élève pour l’écouter, jouant de la proximité et de la distance pour inciter l’élève à suivre l’enseignant ; conservation de la distance ou au contraire, plus grande proximité de l’élève ou des élèves transgresseurs ; déplacements de l’enseignant seul comme ressource pour la réflexion dans l’action, pour se recentrer sur sa position statutaire et sur lui-même afin d’augmenter la confiance en soi indispensable à l’action. Ces savoirs d’action gagneraient à être conscientisés en formation.

8 - Les savoirs d’action relevant d’un habitus professionnel (assemblages, combinaisons d’actions simples résultant d’élaborations complexes) [5], de même que les signes et les gestes, sont très efficaces, du fait qu’ils sont attachés à un seul enseignant et extrêmement contextualisés.

9 - L’efficacité d’un savoir d’action ne tient pas à sa fréquence d’utilisation. Dans plusieurs situations en effet, c’est un savoir d’action mobilisé à un moment-clé qui s’est avéré déterminant pour sa résolution dans le sens d’une autorité éducative.

10 - Le différé est un savoir d’action efficace dans toutes les situations où il est évoqué. Tout en dédramatisant et en apaisant le conflit, il permet la poursuite de l’action ordinaire du professeur. Au contraire, lorsqu’un professeur cherche à obtenir d’un élève une obéissance immédiate et inconditionnelle sous la forme d’une soumission, il augmente le risque d’être la victime de violences physiques de la part de celui-ci.

11 - Des enseignants disposent d’une gamme de savoirs d’action substitutifs en cas d’échec. Augmenter le répertoire des savoirs d’action disponibles chez ceux qui parviennent difficilement à entrevoir d’autres modalités d’action possibles est un objectif de formation essentiel.

12 - Certains savoirs d’action utilisés s’avèrent moins efficaces, dans certaines situations étudiées : les interventions verbales pour expliquer, persuader, convaincre ; celles qui tiennent du discours même varié ; les propos qui visent à faire réfléchir l’élève ; une communication verbale ou non verbale qui dramatise la situation.

13 - Enfin, la tendance des enseignants à être au clair avec ce qui guide leur action est inversement proportionnelle au nombre de sous-buts formulés. La multiplication des sous-buts peut être, soit le signe d’une fragilité professionnelle ou personnelle, à moins qu’elle ne traduise une capacité du professeur à ajuster ses sous-buts dans l’action en référence à son but générique.

Source :http://www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?article6017