Sur les réformes

C’est le collège qu’il faut réformer

Bernard Kuntz, le jeudi, 29/10/2009.

Plus de deux années de conciliabules et de concertation pour saupoudrer, au lycée, quelques “mesurettes” relatives au soutien, aux langues vivantes et à l’orientation : comme d’habitude, en matière d’école,la montagne a accouché d’une souris. On peut, certes, se réjouir de voir – provisoirement – le spectre du “lycée light”s’éloigner,ou,au contraire, reprocher aux professeurs leur “corporatisme”.Mais la solution ne se trouve ni dans l’immobilisme ni dans la mise en cause systématique du corps enseignant.

D’où proviennent, en vérité, les problèmes qui affectent le système éducatif ? Il n’est plus, aujourd’hui, nécessaire d’être un expert pour les détecter. Les conceptions pédagogiques imposées de l’école au collège (et bientôt, hélas, au lycée…), fondées sur les dérives “constructivistes” issues de l’esprit soixantehuitard, n’ont que très partiellement reculé sous l’effet des nouveaux programmes. En dépit d’une réforme du primaire tentée sous Gilles de Robien et mise en place sous Xavier Darcos, la toute puissante “nomenklatura pédagogiste”continue ses ravages. Installée à tous les échelons du système, des inspections académiques à l’inspection générale,adoubée par le gouvernement, lequel, de l’Élysée à la Rue de Grenelle, se garde bien de la remettre en cause, elle attend patiemment que le vent tourne et que l’alternance lui permette de poursuivre son travail de sape au grand jour…

Pendant ce temps,instituteurs et professeurs, à leur corps défendant, sont contraints de se conformer à la pensée unique, confortée par les instructions et les discours officiels. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner s’ils se cramponnent à leur statut : ce dernier reste leur seul moyen de résister à l’avalanche de dispositifs absurdes qu’ils subissent depuis plusieurs décennies.

Les lycéens, en raison de leur âge, descendent plus facilement dans la rue que les collégiens : telle est la vraie raison qui pousse le pouvoir à réformer à tout prix le second cycle, alors que ce dernier n’est pas, loin s’en faut, le maillon faible du système. Le problème du lycée, au fond,n’a rien de compliqué : il résulte du fait qu’au moins un quart des jeunes entrent en seconde sans disposer des connaissances qui leur permettront d’y suivre,avec succès, l’enseignement dispensé.Il n’est qu’à lire les nombreuses copies truffées de fautes d’orthographe et de charabia, pour se rendre compte qu’une part importante de la génération ne dispose plus des outils élémentaires pour construire et formuler une pensée cohérente. Dans ces conditions, ce ne sont ni quelques heures de soutien “grappillées”sur le dos des enseignements disciplinaires, ni les incantations à “apprendre à apprendre” qui changeront les choses.En vérité,c’est le collège qu’il faut réformer.

Alors que 25 % des élèves qui entrent en sixième sont “mal lettrés” ou illettrés, aucun dispositif sérieux n’a jamais été mis en place pour leur permettre de surmonter leurs difficultés… Le prétendu “socle fondamental de compétences”, essentiellement promulgué pour masquer la généralisation de l’ignorance, ne constitue qu’un énième ravalement de façade, sans effet réel sur la situation. Le dogme de la classe hétérogène, intangible, transforme la tâche des professeurs en mission impossible. Arguant d’une prétendue perte du “sens des apprentissages”,les pouvoirs publics se refusent à considérer que le “passage automatique”de classe en classe rend inopérante l’autorité des professeurs et conforte les élèves dans l’idée que nul effort n’est nécessaire pour réussir. Dévalorisés, les voies professionnelles et l’apprentissage, qui pourraient constituer d’utiles planches de salut, ne sont accessibles – et pas pour tous – qu’après la troisième…

De la maternelle à l’université, chaque cycle ne se voit plus assigner pour fonction que de remédier, sans y parvenir, aux défaillances du niveau inférieur. En dépit des suppressions de postes, qui, en l’absence d’une vraie réforme de structures, généralisent la pénurie, le coût de l’Éducation reste exorbitant compte tenu de ses résultats… Consciente de la situation, l’opinion est prête, tout comme la majorité des enseignants,à assumer les réformes qui s’imposeraient.Mais pas le gouvernement. En matière d’éducation, la seule politique qu’il ait suivie, depuis plus de deux ans, a consisté à se soumettre aux diktats de ses adversaires… avant même que ces derniers n’aient eu à les formuler.S’agit-il de “Realpolitik” ou de renoncement ?

Dernier ouvrage paru : Faut-il en finir avec le collège unique ?, débat avec Philippe Meirieu, Magnard, 2009.

Bernard Kuntz est président du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC-CSEN)

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