Balladodiffusion

Rallumons les téléphones mobiles dans les classes !

LEMONDE.FR | 04.09.09. Internetactu.net

Et si à l’école, on arrêtait de considérer les téléphones mobiles comme des outils de distraction, et qu’on les utilisait enfin comme des machines pour apprendre ? Et si on arrêtait de penser qu’ils sont une arme de guerre entre élèves et professeurs, entre la vie sociale et les cours ?

Bien qu’ils soient devenus de véritables ordinateurs personnels, le bannissement des téléphones mobiles à l’école ne cesse de s’étendre, parce que “leur utilisation dérange les cours, parce qu’ils distraient les élèves, parce qu’ils peuvent être utilisés pour tricher et qu’ils n’apportent aucune valeur éducative”… rapporte Juliette LaMontagne pour le Design Observer Group. Mais les écoles n’ont pas fondé leurs politiques sur des données statistiques, pas plus qu’elles n’ont considéré en profondeur le potentiel que représenterait l’usage de mobiles en classe, renchérit Toni Twiss, directrice d’une section d’apprentissage électronique dans une école d’Hamilton en Nouvelle-Zélande. “Il semble quelque peu ironique que les écoles essaient de trouver des fonds supplémentaires pour augmenter l’accès des étudiants et des enseignants aux TIC, alors que l’outil que beaucoup d’étudiants ont déjà dans leurs poches est négligé et que son utilisation a été énergiquement niée par des politiques scolaires restrictives.”

Pourtant, il y a quelques semaines, le secrétaire américain à l’éducation, Arne Duncan a souligné qu’il fallait trouver des moyens pour utiliser les téléphones pour délivrer des cours et améliorer l’apprentissage. D’autant qu’ils sont plus accessibles et moins chers que les ordinateurs et que les élèves en sont massivement équipés. Sans compter, comme le souligne la spécialiste en technologies éducatives mobiles, Liz Kolb auteure de Toys to Tools: Connecting Student Cell Phones to Education (Des jouets aux outils : connecter les téléphones des étudiants à l’éducation), que les professeurs ont toujours eu besoin d’utiliser les technologies qui sont disponibles.

Oui, insiste Juliette LaMontagne chercheuse et enseignante pour le réseau d’écoles internationales de l’Asia Society à New York, qui a notamment bénéficié du programme d’apprentissage de Google dédié aux enseignants, mais le taux d’équipement n’est pas un argument suffisant en faveur de l’utilisation du mobile à l’école… “Les objectifs pédagogiques sont toujours notre première préoccupation et la technologie, quelle que soit sa forme, reste un outil pour nous aider à atteindre ces objectifs.” Le réseau d’école de l’Asia Society auquel elle participe travaille par exemple à l’intégration de services mobiles lors de déplacements extérieurs des élèves et pousse les étudiants à être producteurs de connaissances pour leurs camarades, tout en développant la critique et l’esprit de collaboration. “Comme éducateurs, nous devons tirer parti de l’attrait des étudiants pour leurs mobiles pour transformer leurs réseaux de communication en réseaux d’apprentissage : il y a une richesse inexploitée pour développer le potentiel d’apprentissage dans des messages textes apparemment ineptes, comme ceux de Twitter”, explique-t-elle en faisant référence à la polémique de l’été autour de la vacuité des messages que l’on trouve sur Twitter que soulignait l’étude de PeerAnalytics expliquant que 40% des gazouillis ne contiennent aucune information “utile”. Or comme l’explique la chercheuse danah boyd, l’essentiels de nos conversations sont composées d’informations inutiles pour tout autres que ceux auxquelles elles s’adressent… On parle pour ne rien dire, c’est la fonction phatique des sites sociaux. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas utiliser ces mêmes outils pour construire des apprentissages : que cela ne vous empêche pas d’utiliser Twitter en salle de classe par exemple, comme le suggèrent ces 12 activités imaginées par David R. Wetzel.

“Si nous réussissons à faciliter cette transformation, alors nous pouvons créer une culture d’apprentissage permanent où les élèves ne feront aucune différence entre des environnements d’apprentissage formels et informels, apprenant où et quand il sont curieux”, insiste Juliette LaMontagne.

"AIDONS LES ÉLÈVES À PERCEVOIR LEURS OUTILS MOBILES COMME DES PORTAILS DE L’APPRENTISSAGE"

Pour Toni Twiss, l’utilisation de ces nouveaux outils pose de nombreux problèmes bien sûr, mais libère aussi de nombreux potentiels, comme celui de réunir des expériences d’apprentissage dans et hors la salle de classe. Cela a d’ailleurs été le coeur de ses recherches jusqu’à présent : quel est l’impact de cet accès permanent à l’information ? Comme le dit David Warlick, un autre spécialiste de ces questions : “Comment nos examens doivent-ils évoluer à l’heure où les élèves arrivent avec Google dans leurs poches ?”

Via leurs téléphones mobiles, les élèves constatent d’un coup que les sites internet ne sont pas bloqués par les outils de filtrage mis en place par le système scolaire, explique encore Tony Twiss. Plutôt que de délivrer de l’information, les enseignants doivent aider les étudiants à apprendre à critiquer et exploiter les informations auxquelles ils accèdent. “Un grand nombre d’étudiants impliqués dans les recherches que j’ai menées ont montré un manque de compréhension de maîtrise de l’information et des compétences générales nécessaires pour accéder au Web”, rappelle Tony Twiss critiquant le concept de natifs du numérique cher à Marc Prensky.

Bien sûr, cet objectif n’est pas si simple. Le manque d’uniformité et d’interopérabilité entre les appareils, la petite taille des écrans, le style de communication souvent nécessairement tronqué sont de réelles difficultés - et ce ne sont pas les seules. Le téléphone mobile reste un outil de consultation personnel, il est encore souvent difficile de l’utiliser en groupe ou de manière contributive, même s’il interagit de mieux en mieux avec d’autres supports. Nous ne devons pas céder à une interprétation trop rapide, estime Juliette LaMontagne. Nous avons besoin d’établir des normes de comportement bien sûr, mais ne nous arrêtons pas à cela : “aidons les élèves à percevoir leurs outils mobiles comme des portails de l’apprentissage”.

Hubert Guillaud

http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/09/04/rallumons-les-telephones-mobiles-dans-les-classes_1236106_651865.html