Le Mexique sous la coupe des narcos Amériques. Les États- Unis sur une nouvelle ligne de front.

(actualisé le )

Le pays est ravagé par la guerre que se livrent les cartels de la drogue. Les plus hautes autorités de l’État sont compromises. Washington s’inquiète.

Gaëtan Portier, le 02-04-2009

Plus de six mille morts ! La guerre que se livrent les cartels de la drogue a fait en 2008 un nombre record de victimes, avec une hausse de 117 % des décès par rapport à l’année précédente. L’année 2009 ne s’annonce pas mieux. Les chiffres des morts violentes dans chaque région sont effrayants. Le record est détenu par l’État de Chihuahua, aux mains du cartel de Ciudad Juárez, la grande ville mexicaine face à l’américaine El Paso : 2 044 tués en 2008.

Terre historique de narcotrafiquants, le Mexique paie des années de politiques inadaptées et de compromissions, souvent au plus haut niveau. Faute de meilleure stratégie, le président Felipe Calderón a envoyé l’armée combattre les trafiquants dans la rue, sans vraiment traiter les origines économiques du mal. Ses services mènent autant qu’ils subissent une guerre sanglante.

Premier producteur mondial de marijuana, “petit” producteur d’héroïne, terre de transit de 90 % de la cocaïne colombienne à destination des États-Unis, le Mexique est dépendant du narcotrafic. La puissance des cartels de trafiquants a pris des proportions alarmantes. « Je crois que le gouvernement est déjà largement dépassé.Le pays se trouve dans un état de décomposition avancée », dit Alejandro Gutiérrez, journaliste, auteur de Narcotrafic. Le grand défi de Calderón.

La guerre qui se déroule au Mexique est d’une grande complexité, car elle n’oppose pas simplement la police et l’armée aux cartels.Les groupes criminels se battent aussi entre eux, ainsi que leurs protecteurs. Des scissions au sein d’alliances de cartels, en 2004 puis 2008, ont précipité les hostilités entre les cinq principales organisations. L’enjeu : le contrôle des territoires et des routes en direction des États-Unis.

« Le code d’honneur qui prévalait entre les trafiquants est brisé, explique Patricia Dávila, journaliste à Proceso, l’hebdomadaire politique de référence. Avant, ils respectaient par exemple les épouses et les enfants.Aujourd’hui, c’est fini.Peu importe que les exécutions aient lieu dans un parc et que des innocents soient blessés. » La violence a pris une tournure radicale.Les décapitations et les mutilations sont devenues courantes.

Les narcos massacrent avec des armes dernier cri : 33 000 ont été saisies en deux ans, dont 18 000 de gros calibre, y compris des lance-missiles et des grenades, capables de percer les plus épais blindages. Ces armes sont importées illégalement des États-Unis. C’est l’un des rares reproches qu’ose émettre le gouvernement mexicain en direction de son grand voisin.Le président Calderón n’hésite pas à dire aussi (dans le Monde du 6 mars) : « Si les États-Unis n’étaient pas le plus gros marché de drogue au monde, nous n’aurions pas ce problème. »

S’il est devenu courant de voir des policiers abattus, la violence atteint désormais les militaires. Certains ont été enlevés et décapités, début février, à Cancún. Des pistoleros ont assassiné le général Tello Quiñones, le plus haut gradé victime de la guerre. À cela s’ajoute le crash, en novembre à México,de l’avion du ministre de l’Intérieur et bras droit du président Calderón, Juan Camilo Mouriño. Probablement un attentat.

Calderón met l’accent sur les nombreuses opérations militaires et sur trois records mondiaux dans la lutte contre le crime organisé : les plus grandes saisies de cocaïne, d’argent liquide et d’armement. Quant à la poignée d’arrestations importantes, leur portée est limitée, car ces groupes paramilitaires se recomposent de façon presque instantanée.

« Quand Calderón dit que toute cette violence s’est déclenchée en réaction aux coups que le gouvernement donne aux cartels, cela fait sourire, ironise Alejandro Gutiérrez. Quelle fragilisation des cartels mexicains si ceux-ci opèrent dans 38 pays à travers le monde, si jamais autant de drogue n’a circulé ? Calderón nous vend des succès, mais il travaille avec les mêmes fonctionnaires qui ont échoué avec l’ancien président Vicente Fox. »

Vicente Fox et Felipe Calderón ont, semble-t-il, sous-estimé les capacités de destruction et de corruption des groupes criminels. La militarisation de la lutte, sous l’influence croissante des États-Unis, est controversée. Aux yeux de certains observateurs, elle peut augmenter le niveau de violence et accroître le danger d’infiltration de l’armée par les narcos. Le pays se “colombianise”.

Dès le début de son mandat, en décembre 2006, Calderón a mobilisé 40 000 militaires. Ces effectifs ont été renforcés cette année. De 2001 à 2009, le budget des forces armées a été multiplié par deux. Cette année, les États-Unis se sont engagés à verser au Mexique près de 200 millions de dollars, au titre de l’initiative Mérida, un accord bilatéral destiné à renforcer la lutte contre le trafic de drogue. Barack Obama avait rencontré Felipe Calderón quelques jours avant son investiture : il souhaite renforcer encore la collaboration entre les deux pays dans ce domaine.

Calderón a nommé en décembre dernier le général Javier del Real Magallanes comme sous-secrétaire à la Sécurité publique. L’intention est d’écarter Genaro García Luna, le ministre de la Sécurité publique, soupçonné de liens avec le narcotrafic. « Cela illustre la désarticulation des corporations policières, analyse Patricia Dávila. Le général Magallanes va rendre ses comptes à celui qui est en fait son supérieur immédiat, le ministre de la Défense. »

Les complicités de hauts fonctionnaires du ministère de la Sécurité publique et du ministère de la Justice avec certains grands cartels ont été révélées, courant 2008, lors de l’opération Nettoyage. Des proches collaborateurs de García Luna et d’Eduardo Medina-Mora, le ministre de la Justice, ont été mis en cause. La “qualité” et le nombre des gens arrêtés sont impressionnants. Parmi eux, les deux anciens directeurs d’Interpol au Mexique et l’ancien responsable des services de renseignement,le Siedo.Un cartel avait même réussi à introduire une taupe dans le service de sécurité de l’ambassade américaine. La liste des fonctionnaires corrompus est longue.Conclusion : le président Calderón ne peut pas compter sur ses polices.

Le Mexique paie des années de mauvaise gestion des forces de l’ordre

La situation actuelle est le résultat d’années de mauvaise gestion des forces de l’ordre, de graves compromissions à tous les niveaux de l’État, mais aussi d’un manque de vision politique et sociale. La moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les policiers sont à la fois mal payés et mal formés, et les gouvernements successifs ont oublié de s’attaquer au blanchiment d’argent. « Le narco n’est pas un problème policier, c’est un problème économique, remarque Adalberto Santana,directeur du Centre de recherche sur l’Amérique latine et les Caraïbes de l’Université nationale autonome de Mexico (Unam), auteur d’un ouvrage sur le narcotrafic.Nous parlons de la deuxième industrie au niveau mondial après le pétrole. Ses appuis sont dans les plus hautes sphères du pouvoir et de la finance mondiale. »

Sans évidemment en approuver le principe, ce spécialiste estime que les retombées économiques du narcotrafic “aident”le Mexique à ne pas sombrer davantage.Près de trois millions de Mexicains retireraient des bénéfices du trafic de drogue.

Mexique. Entre l’abîme et le sublime, de Gaëtan Mortier, éditions Toute Latitude, 256 pages, 19,90 €.

http://www.valeursactuelles.com/public/valeurs-actuelles/html/fr/articles.php?article_id=4428