Amériques

DIPLOMATIE • Rien ne va plus avec Washington

Le divorce entre l’Amérique latine et les Etats-Unis semble consommé. La fin du mandat de George Bush est synonyme de défiance, bien loin de l’entente cordiale des années 1990.

Nouvel anti-impérialisme ou discours à usage interne ? L’Amérique latine n’abrite peut-être pas de dictateurs équipés d’armes de destruction massive ni de bases d’entraînement du terrorisme mondial, mais les liens qu’elle entretient avec Washington sont loin de ces “relations charnelles” des années 1990 qu’évoquait l’ancien ministre des Affaires étrangères argentin, Guido Di Tella. “La situation est très paradoxale : le zénith impérial des Etats-Unis coïncide avec une très nette perte d’influence dans la région. La doctrine Monroe [en 1823, le président Monroe affirme que les Etats-Unis doivent être les garants de la stabilité de tout le continent] n’a jamais été aussi peu en vigueur”, explique Juan Gabriel Tokatlian, professeur de relations internationales à l’université de San Andrés.

L’obsession de Washington concernant la “guerre contre le terrorisme” a permis à un ensemble de pays situés hors du continent d’y exercer une influence impensable auparavant. Actuellement, la Russie, la Chine (qui possède la troisième flotte du monde) et l’Iran ont une présence économique et même militaire de plus en plus marquée dans la région. Début septembre, le président vénézuélien Hugo Chávez a annoncé des manœuvres conjointes avec des forces militaires russes dans la mer des Caraïbes, alors que vient d’être réactivée la 4e Flotte américaine [depuis le 1er juillet dernier, les Américains ont remis en place un haut commandement spécifique chargé de surveiller la région. Ils l’avaient désactivé à la fin de la Seconde Guerre mondiale], qui patrouille dans les eaux de l’Amérique latine. En outre, deux bombardiers russes TU 160 ont atterri le 10 septembre en territoire vénézuélien. “De l’ère Bush, il ne reste plus qu’un seul allié fidèle des Etats-Unis, la Colombie. Les droites latino-américaines sont restées sans alternative”, ajoute Emir Sader, secrétaire exécutif du Conseil latino-américain des sciences sociales (CLACSO).

La carte du continent est donc en train de changer. Le président équatorien Rafael Correa a par exemple annoncé qu’il ne renouvellerait pas le bail de la base de Manta, sur la côte pacifique, contrôlée par les Etats-Unis, ce qui oblige Washington à chercher un nouveau point de chute. En outre, le projet de nouvelle Constitution [qui sera soumise à référendum le 28 septembre], à l’image de la Loi fondamentale bolivienne, interdit explicitement l’implantation de bases étrangères sur le territoire du pays. Grâce à Fernando Lugo, le Paraguay n’est plus “le pays le plus anticommuniste du monde”, comme le disait l’ex-dictateur Alfredo Stroessner. Pis, son ministre des Affaires étrangères, Alejandro Hamed, ancien ambassadeur au Liban, est interdit de séjour aux Etats-Unis, où il figure sur une liste noire pour son soutien supposé au Hezbollah. Même le Honduras, autre allié traditionnel de Washington, a pour le moment repoussé l’accréditation du nouvel ambassadeur nord-américain, “par solidarité avec la Bolivie”, et a rejoint l’ALBA (Alternative bolivarienne pour les Amériques) créée par Hugo Chávez.

L’ambassadeur américain en Bolivie a joué avec le feu

Juan Gabriel Tokatlian ne croit pas que la Maison-Blanche va s’aventurer à reprendre “des pratiques dépassées”, mais il évoque tout de même la séquestration et la destitution de Jean-Bertrand Aristide en Haïti en 2004 et la ten­tative de coup d’Etat contre Chávez en 2002, orchestrées en partie par les ambassades américaines. “Ces derniers mois, au cœur d’une situation hautement explosive, l’ambassadeur américain en Bolivie a joué avec le feu et son expulsion n’est pas de bon augure”, ajoute l’analyste. Avec les élections [régionales] qui s’annoncent en novembre, certains soulignent que la décision de Hugo Chávez d’expulser l’ambassadeur américain est une manière d’épater la galerie. “Chaque fois qu’il y a des élections, Chávez fait vibrer la corde du nationalisme contre l’impérialisme. Ce fut le cas en 2004 avec la campagne pour un siège au Conseil de sécurité de l’ONU, et avec les relations conflictuelles soigneusement entretenues avec Alvaro Uribe, son homologue colombien, faites de disputes et de réconciliations. Rappelons aussi l’altercation avec le roi d’Espagne [et le désormais célèbre “¿Por qué no te callas ?” (“Mais vas-tu te taire ?”) que Juan Carlos lui avait lancé au cours d’un sommet ibéro-américain en novembre 2007] juste avant le référendum constitutionnel”, ajoute Marc Saint-Upéry, auteur du Rêve de Bolivar [éditions La Découverte, mars 2007]. Le journaliste Teodoro Petkoff, l’un des plus virulents opposants à Chávez, préfère une approche psychologique. “Tourmenté par ses complexes liés au manque d’une épopée personnelle, Chávez aimerait retrouver le climat de la crise des fusées de 1962. Il rêve d’endosser le rôle joué par Fidel Castro à l’époque”, explique-t-il. A voix basse, plusieurs experts attribuent plus d’efficacité en matière d’intégration régionale aux stratégies sophistiquées de l’intelligentsia brésilienne qu’à la logorrhée chaviste. L’énorme quantité d’accords de coopération et d’intégration signés par Caracas paraît inversement proportionnelle à sa capacité à les respecter. “On parle d’un retour à la guerre froide, mais cela ne rend pas compte de la complexité et de la richesse de la situation actuelle, ni des opportunités que la situation représente pour l’Amérique latine”, conclut Juan Gabriel Tokatlian.

Pablo Stefanoni

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