Trêve avant l’ouverture de négociations en Bolivie L’Amérique latine mobilisée au chevet de la Bolivie

LA PAZ — La trêve en Bolivie, après les violences et manifestations qui ont fait au moins 15 morts et 37 blessés. Le gouvernement et l’opposition bolivienne ont signé mardi soir un accord pour apaiser les tensions, décidant d’entamer trois mois de négociations pour tenter de régler les désaccords de fond qui ont creusé la fracture déchirant le pays le plus pauvre d’Amérique latine.


REUTERS/DAVID MERCADO
Des supportrices du président bolivien Evo Morales assises devant des policiers, le 16 septembre à La Paz.

L’affaire avait bien failli capoter in extremis mardi soir, avec l’arrestation du préfet (gouverneur) de Pando, Leopoldo Fernandez: La Paz l’accuse de "génocide" pour avoir orchestré l’attaque meurtrière de jeudi dernier contre un groupe de paysans pro-gouvernemenaux dans cette région amazonienne frontalière avec le Brésil, une des provinces entrées en rébellion contre le pouvoir du président Evo Morales.

Les gouverneurs de Santa Cruz et Tarija, deux autres provinces rebelles, les plus riches du pays, ont signé l’accord de trêve en présence d’un témoin neutre, le cardinal Julio Terrazas. Peu auparavant, le vice-président Alvaro Garcia avait annoncé la signature du même texte par la partie gouvernementale.

L’accord prévoit la levée immédiate des barrages routiers dans les provinces en rébellion, ainsi que l’évacuation des installations pétrolières et bâtiments publics occupés depuis la semaine dernière par les autonomistes dans les provinces de Santa Cruz, Beni, Pando et Tarija. De son côté, La Paz s’engage à suspendre la mobilisation des organisations paysannes pro-gouvernementales fidèles au premier président d’origine amérindienne du pays.

Jeudi, les deux camps entameront trois mois de dialogue sur les épineuses questions de fond qui ont déclenché la crise: le projet de révision constitutionnelle qui permettrait au président de briguer un second mandat et mettant en oeuvre la réforme agraire, les revendications d’autonomie des régions, et la répartition des revenus du gaz naturel.

Le président Morales s’est quant à lui engagé à suspendre pour une durée d’un mois la convocation du référendum de révision constitutionnelle, qui a été prévu pour décembre.

L’UNASUR (Union des nations d’Amérique du Sud), présidée actuellement par le Chili et qui avait apporté son soutien unanime à Morales lundi lors d’une réunion d’urgence à Santiago, et l’Eglise catholique figurent parmi les organisations garantes de ces pourparlers.

Vendredi, les affrontements violents dans le Pando avaient poussé La Paz à y déclarer l’état de siège. Outre les derniers bilans officiels de l’affrontement sanglant entre autonomistes et pro-gouvernementaux, 106 autres paysans pro-gouvernementaux sont toujours portés disparus.

La crise a cristallisé l’opposition entre deux Bolivie: celle des hauts plateaux andins et des indiens pauvres, que Morales représente après des siècles d’exclusion et d’oppression, à celle des provinces riches, blanches et métisses de l’est et du sud, qui tiennent les ressources naturelles en gaz et pétrole, et la richesse agricole.

Dans le même temps, mardi, les Etats-Unis, qui semblent avoir choisi leur camp dans la querelle qui déchire la Bolivie, ont inscrit le pays sur sa liste noire des pays producteurs de drogue, aux côtés du Venezuela et de la Birmanie, jugeant que La Paz avait "donné la preuve de son échec" à combattre la production de cocaïne. Un camouflet pour le président Morales, ancien syndicaliste défenseur des petits producteurs de coca, et dernier épisode en date dans le bras de fer diplomatique qui est venu approfondir la crise interne bolivienne.

Et Washington offrait mercredi d’évacuer vers le Pérou tout ressortissant américain souhaitant quitter le pays. L’organisation des volontaires humanitaires du gouvernement, les Peace Corps, a évacué ses 113 volontaires au cours du week-end.

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L’Amérique latine mobilisée au chevet de la Bolivie

La Bolivie n’est pas un pays, c’est un problème !", s’exclamait l’écrivain américain John Gunther dans les années 1940, en évoquant l’instabilité chronique dont elle avait souffert depuis son indépendance en 1825. Ces jours-ci, le "problème" bolivien inquiète vivement l’Amérique du Sud, qui s’en est saisie.

Le sous-continent est résolu à éviter que le conflit entre le président de gauche Evo Morales – premier chef de l’Etat bolivien à revendiquer son origine amérindienne – et ses opposants, conduits par les gouverneurs de cinq provinces hostiles à ses réformes agraires, fiscales et constitutionnelles, ne dégénère en guerre civile.

Les voisins de la Bolivie ont exprimé leurs craintes et leurs espoirs, lundi 15 septembre à Santiago du Chili, au terme d’un sommet de l’Union des nations sud-américaines (Unasur). Cet organisme, créé au mois de mai, se veut une instance "de premier recours" dans la prévention des conflits. Il permet d’éviter, autant que possible, de saisir l’Organisation des Etats américains (OEA), dont les Etats-Unis font partie. Manière d’affirmer pour les douze pays d’Amérique du Sud qu’ils peuvent régler eux-mêmes leurs problèmes régionaux.

Adoptée à l’unanimité à l’issue du sommet, "la déclaration de la Moneda" – du nom du palais présidentiel à Santiago – est aussi ferme sur le fond que modérée dans la forme. Elle est empreinte du pragmatisme des deux dirigeants qui l’ont principalement inspirée, la présidente chilienne Michelle Bachelet et son homologue brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva.

Les présidents sud-américains expriment leur "soutien ferme et total" à M. Morales, qui "a vu son mandat confirmé à une ample majorité" (67 %) lors d’un référendum le 10 août, tout en l’encourageant à poursuivre le dialogue avec ses opposants. Ils appellent au respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la démocratie, en déniant à l’avance toute légitimité à un éventuel "coup d’Etat civil". Ils décident l’envoi en Bolivie d’une commission qui aidera au travail d’une table ronde placée sous l’autorité du gouvernement de La Paz.

SILENCE SUR LES ETATS-UNIS

La déclaration adoptée à Santiago ne souffle mot des Etats-Unis, avec lesquels trois pays, au moins, sont pourtant en délicatesse ou en conflit ouvert. La Bolivie a expulsé, le 14 septembre, l’ambassadeur des Etats-Unis à La Paz. Le Venezuela a fait de même par solidarité. La présidente argentine, Cristina Kirchner, accuse Washington d’utiliser un procès en cours à Miami pour déstabiliser son régime. Un procureur fédéral américain affirme qu’un homme d’affaires a tenté d’introduire en août 2007, dans une valise, près de 800000 dollars destinés à la campagne électorale de Mme Kirchner, ce que cette dernière dément.

Ce silence sur les Etats-Unis a été voulu notamment par le Chili et le Brésil. "Nous ne cherchons d’affrontement avec personne", a souligné le chef de la diplomatie chilienne, Alejandro Foxley. A Brasilia, on estime que l’expulsion de l’ambassadeur à La Paz n’a fait qu’exacerber inutilement la tension. Le président socialiste équatorien, Rafael Correa, allié d’Evo Morales, a admis lui-même "n’avoir aucune grande preuve" d’une ingérence des Etats-Unis dans le conflit bolivien. Un conflit politique grave et complexe, dont l’origine, et le traitement, sont d’ordre interne.

Cette crise attire l’attention sur le rôle grandissant du Brésil et de son président. Fort du poids démographique et économique de son pays, Luiz Inacio Lula da Silva se comporte en leader régional. Il a les atouts pour exprimer un consensus et exercer une influence modératrice acceptable à l’intérieur du sous-continent comme àl’extérieur, notamment aux Etats-Unis.

Il jouit chez lui, après six ans de pouvoir, d’une popularité inoxydable (64 % d’opinions favorables). Il est respecté en Amérique du Sud et à Washington. En Bolivie, il bénéficie de la confiance des deux camps. Initialement sceptique sur le sommet de Santiago, il y a participé pour deux raisons essentielles. Le Brésil importe de Bolivie la moitié du gaz qu’il consomme. Il redoute que l’instabilité chez son voisin perturbe à nouveau, comme ce fut le cas récemment, son approvisionnement en énergie.

Surtout, le président brésilien ne voulait pas, par son absence, laisser le champ libre au turbulent Hugo Chavez. Pratiquer la "chaise vide" à Santiago aurait permis au président vénézuélien de tisonner un peu plus, par sa rhétorique bolivarienne, un conflit qu’il avait déjà attisé, en menaçant, entre autres, d’intervenir militairement, en cas de besoin, à la rescousse de son allié bolivien. Faire contrepoids à M. Chavez en Amérique du Sud est devenu une préoccupation récurrente du président Lula. Cette lutte d’influence feutrée n’est pas le moindre enjeu de l’actuelle crise bolivienne.

Jean-Pierre Langellier (avec Christine Legrand à Buenos Aires)

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