Comment sont corrigées les copies du baccalauréat Marie-Estelle Pech 16/06/2008

Pour stabiliser les taux de réussite et éviter les injustices, les correcteurs sont invités par les inspecteurs, lors de commissions d’harmonisation, à assouplir leurs évaluations.

D’ici à deux semaines, le ministre de l’Éducation na­tionale se ré­jouira à coup sûr de l’excellente performance des élèves de terminale au baccalauréat. Et de l’organisation sans faille de ce monument national aussi indétrônable que la tour Eiffel. Pourtant, l’augmentation constante du nombre de reçus ne manque pas d’interroger. Ils sont passés de 60,5 % en 1961 à 83,7 % en 2007. La notation, jugée trop laxiste, est souvent montrée du doigt, surtout les années où, manifestations obligent, de nombreux lycéens ont arpenté le macadam au détriment de leurs cours. Ce qui ne les empêche pas d’atteindre systématiquement des pics inédits de réussite.

On est encore loin des 100 % de réussite au bac, mais «grâce aux consignes de correction données par les corps d’inspection, on s’en approche», affirme Catherine Pauchet, sociologue qui travaille au ministère de l’Éducation nationale (1). Dès cet après-midi, après l’épreuve reine, celle de philo­sophie, l’habituel petit trafic des notes du bac va se mettre en place. Les enseignants, discipline par discipline, vont décider des critères utilisés pour noter les copies dans plusieurs réunions successives.

Il s’agit de «lisser les notes», ou encore de préparer une «évaluation équitable», explique un haut fonctionnaire dans le langage maison, car toutes les études de «do­cimologie» le montrent depuis 1930 : l’aléa de la correction des copies peut être considérable. Une conclusion particulièrement vérifiée lors de la correction des épreuves écrites de philosophie, de français et de version latine, selon Pierre Merle, spécialiste de l’évaluation (2). Mais qui n’est pas non plus absente des corrections des épreuves scientifiques, à tort réputées fiables.

Les consignes des inspecteurs, parfois écrites mais le plus souvent orales, sont classées confidentiel… Car elles consistent surtout à faire preuve d’indulgence sans que ­quiconque veuille le reconnaître officiellement. Soupçonnées de contribuer à augmenter de ma­nière artificielle les taux de réussite et d’affaiblir ainsi la valeur du bac, elles provoquent les pires fantasmes. Mais en quoi consistent-elles donc ?

Lors d’une première concertation, le jour même de l’épreuve, quelques enseignants triés sur le volet sont convoqués au rectorat de leur académie par leur inspecteur pédagogique régional. «On est parfois accueillis avec des petits fours accompagnés plus souvent de mousseux que de champagne !», raconte un habitué blasé de l’académie de Bordeaux. Des consignes de corrections générales y sont données, des barèmes établis. La consigne tend généra­lement à l’in­dulgence. En 2007, à Montpellier, les correcteurs de l’épreuve de mathématiques de la série S se sont ainsi vu remettre huit pages de barème, question par question. Il y est précisé entre autres qu’«on ne pénalisera pas une erreur de ­calcul si la formule utilisée est ­correcte». Les consignes permettent à «un candidat qui n’a pas fait la première question d’avoir 2,5 points sur 3, si les compétences sont bien utilisées par la suite…». Voilà comment, «grâce à des points glanés de-ci, de-là et à des erreurs non sanctionnées, un candidat médiocre obtient son diplôme… parfois avec mentio n», dénonce Cathe­rine Pauchet. La note de service n° 95-113 précise que le président de jury a «un rôle de décision en matière de relèvement des notes». En clair, «il ne faut pas être en ­dessous de la moyenne nationale ou académique pour que notre ma­tière continue à avoir du succès», décrypte un professeur de biologie de l’est de la France qui s’est en­tendu dire cette année par son inspecteur que «ce serait bien» que la moyenne de son paquet de cinquante copies «ne descende pas en dessous de 12 sur 20».

Depuis une dizaine d’années, les enseignants de philosophie se voient aussi «conseiller» de noter moins sévèrement les copies de terminale littéraire (L). La note moyenne des correcteurs y tourne en effet traditionnellement autour de 8. «On reçoit des consignes strictes pour remonter les notes au maximum… Afin de ne pas décourager les futurs élèves de cette section qui, à cause du fort coefficient de la philo, fait très peur», confirme une enseignante.

Autre exigence exprimée en filigrane, une majorité de candidats doit être reçue, une minorité ajournée. Ce qui compte, c’est la stabilité des taux de réussite. Jean-Paul Bardoulat, ancien président de l’association des professeurs de mathématiques, se souvient d’une réunion où l’inspecteur avait carrément dit que les taux trop faibles faisaient exploser les lycées et les taux trop forts faisaient imploser l’université ! «Je ne suis pas contre le fait de gérer les flux, mais il faut cesser de le dissimuler», dit-il.

Pour minimiser les risques, quelques professeurs jugés trop sévères dans leurs notations sont parfois écartés des corrections du bac l’année suivante. Les rectorats préfèrent ceux qui donnent une bonne moyenne au bac, confirme Pierre Merle. Une technique qui permet, certes, d’éliminer ceux qui sont exagérément sévères, comme ce professeur qui avait mis 60 zéros sur 120 copies de terminale S, sous prétexte qu’elles «n’étaient pas philosophiques» ! Dès mardi, chaque enseignant «référent» de philosophie dûment chapitré par son inspecteur dispensera la bonne parole auprès d’une quarantaine de ses coreligionnaires dans la salle de classe d’un lycée.

«Il a ­fallu s’aligner»

Pendant cette seconde commission, dite d’«entente», «il ne faut pas rêver , c’est verre d’eau et un biscuit sec. Au mieux, car l’Éducation nationale est pauvre», raconte-t-on. Dans ces réunions, l’am­biance est le plus souvent feutrée mais pas toujours. Furieux à l’idée de brader leur matière, certains s’énervent. «Personne n’était d’ac­cord, j’ai cru que quelqu’un allait sortir avec un œil au beurre noir», raconte une professeur de français. Tous finissent cependant par re­partir en maugréant avec un pa­quet de co­pies sous le bras à corriger chez eux en une huitaine de jours.

Lors de la dernière réunion dite d’harmonisation, présidée par un inspecteur, peu avant la remise officielle des notes, des copies tests sont lues à haute voix pour prendre la mesure des éventuels écarts ou divergences de notations. Chacun donne une note en blind test à deux copies tests.

Avec des surprises, parfois. Lors de la correction d’un devoir de français, par exemple, deux points d’écarts sont constatés entre les notes basses et les notes hautes. Mais, corrigé par l’inspecteur pédagogique régional, il avait quatre points de plus que la meilleure note attribuée : «Il a ­fallu s’aligner», a raconté un enseignant à Catherine Pauchet. «La notation d’environ 30 % des copies a été revue à la hausse l’an dernier !», s’indigne une prof d’his­toire.

Lors de ces réunions, certains arrivent désespérés, telle cette en­seignante de philosophie qui a balancé une copie avec dix lignes par terre : «Ça me met hors de moi ! Je veux lui mettre 1 sur 20. J’hésite avec un 0, qu’en pensez-vous ?» Autre cas raconté, celui d’une copie longue d’une douzaine de pages : «C’était très touffu, avec des ­concepts mal maîtrisés, mal em­ployés, à la limite du délire mais bourré de références à Nietzsche, Deleuze, Derrida, des connaissances hors du commun pour un élève de terminale», raconte un enseignant. L’écart de notes en blind test allait de 10 à 18 selon les profs. Certains voulaient «jouer les gentils» en raison du niveau de connaissance, les autres estimaient la copie médiocre. L’inspecteur a tranché pour un 14.

Même en cas d’incident, les élèves ne risquent pas grand-chose. En 2003 comme en 1995, la difficulté particulière de l’épreuve de mathématiques en terminale S avait imposé l’élaboration d’un barème au-dessus de 20 points. Résultat : la moyenne des maths cette année-là n’a jamais été aussi bonne.

La se­maine dernière, dans leur rapport «À quoi sert le bac­calauréat ?», censé proposer des idées de réforme, six sénateurs se sont penchés sur la question. Les conseils de notation sont trop souvent formulés dans des termes «purement positifs», observent-ils, «il conviendrait que les consignes comportent des invitations plus mesurées». Le principe de l’harmonisation des notes est né­cessaire car «la notation est un exercice en partie subjectif, qui suppose un cadre minimum pour s’exercer de manière coordonnée». Pour eux, il convient donc de ne pas la fragiliser en l’entourant d’un «secret inutile».

Des variations très fortes

Bruno Suchaud, chercheur à l’Irédu (Institut de recherche sur l’économie de l’éducation) va plus loin. L’arbitraire de la notation in­terroge selon lui la nécessité de conserver le baccalauréat. En 2006 et 2007, dans deux académies, trois copies d’élèves passant l’épreuve de sciences économiques et sociales au bac­ca­lauréat ont été soumises à la cor­rection de trente professeurs d’économie. Le chercheur montre qu’il existe, pour chaque copie, des variations très fortes d’un correcteur à l’autre, de 5 à 16 pour l’une d’entre elles par exemple, 8 à 18 pour une autre. De telles variations «peuvent avoir, pour certains élèves, une réelle influence sur la réus­site à l’examen», considère-t-il.

Il est en réalité impossible d’ar­river à une notation parfai­tement juste. Il faudrait pour cela utiliser une double correction, solution trop coûteuse pour l’Éducation nationale. Les questionnaires à choix multiples diminuent le risque d’aléas. Mais ils ne peuvent fonctionner pour les matières littéraires. Le contrôle continu n’offre pas davantage une solution idéale. Car il dépend des établissements, les plus élitistes notant sèchement, les autres plus largement. Le débat sur la fabrication des notes du bac a encore de l’avenir devant lui.

(1) Auteur de Faut-il supprimer le bac ? Larousse 2008.

(2) Auteur de Les Notes - Secrets de fabrication. PUF 2007.

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2008/06/16/01016-20080616ARTFIG00283-comment-sont-corrigees-les-copies-du-baccalaureat.php